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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 7, 1865.djvu/312

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en cette rencontre, le peuple pouvait néanmoins avoir des pensées fâcheuses et très-déraisonnables touchant cette ambassade que saint Jean envoyait faire à Jésus-Christ. Ces hommes qui ne pénétraient pas les raisons du saint précurseur, pouvaient aisément dire en eux-mêmes : Jean n’a-t-il pas rendu un témoignage très-avantageux à Jésus-Christ ? d’où vient donc qu’il doute maintenant si c’est lui qui doit venir, ou si on en doit attendre un autre ? est-ce qu’il n’est plus uni maintenant à lui comme il était auparavant ? est-ce qu’il est devenu plus timide dans sa prison ? ou que ces témoignages qu’il avait rendus autrefois n’étaient pas fondés en vérité ? Voilà les soupçons qui pouvaient s’élever dans l’esprit de ces hommes. Or admirez, mes frères, comment Jésus-Christ soutient leur faiblesse, et de quelle manière il éloigne d’eux toutes ces pensées. « Lorsque ces disciples s’en allaient, Jésus « commença à dire au peuple, en parlant de Jean (7). » Pourquoi attend-il qu’ils s’en soient allés ? C’est afin de ne pas paraître flatter saint Jean. Mais en voulant redresser l’égarement de ce peuple, il ne rapporte point publiquement leurs soupçons, et il se contente de répondre à leurs secrètes pensées pour leur apprendre qu’il connaissait le fond de leur cœur. Il ne leur dit point comme aux Juifs : « Pourquoi avez-vous des pensées mauvaises dans votre cœur ? » Car s’ils avaient formé ces soupçons, ce n’était pas néanmoins par malice, mais par ignorance. C’est pourquoi Jésus-Christ leur parle fort doucement. Il ne les reprend point, mais il les guérit de leurs doutes. Il justifie devant eux la conduite de saint Jean et il leur fait voir qu’il n’est point changé, et qu’il est demeuré toujours ferme dans son premier sentiment : que ce n’était point un homme léger et volage, mais ferme et constant, et entièrement incapable de trahir le ministère que Dieu lui avait confié.
Il les dispose même peu à peu à entrer dans ce sentiment. Il ne leur parle pas d’abord comme de lui-même, mais il se sert de leur propre témoignage, et il les fait souvenir qu’ils ont assez fait voir non seulement par leurs paroles, mais encore par leurs actions qu’ils avaient été toujours persuadés de la fermeté de saint Jean. Car il leur dit : « Qu’Êtes-vous allés voir dans le désert ? Un roseau agité du vent(7) ? » C’est-à-dire : qui vous a portés à quitter les villes et vos maisons pour aller en foule dans le désert ? Était-ce pour y voir un homme inconstant et léger ? Cela serait sans apparence. Vous n’auriez pas-sans doute témoigné un si grand empressement pour si peu de chose. Tant de peuples et tant de villes ne seraient pas venus fondre de tous côtés sur le bord du Jourdain, si vous n’eussiez eu une idée de Jean comme d’un grand homme, comme d’un homme admirable et plus ferme qu’un rocher. « Car vous n’êtes pas allés dans le désert pour y voir un roseau agité du vent. » Le roseau est proprement la figure des esprits légers qui se laissent emporter sans aucune résistance, tantôt d’un côté, tantôt d’un autre, qui disent aujourd’hui une chose et demain tout le contraire. Considérez comme Jésus-Christ s’applique particulièrement à lever ce soupçon qu’ils avaient pu avoir de quelque inconstance qui aurait paru dans saint Jean. « Qu’Êtes-vous, dis-je, allés voir ? un homme vêtu avec luxe et avec mollesse ? Vous savez « que ceux qui s’habillent de la sorte sont dans les maisons des rois (8). » Il semble qu’il leur dise par ces paroles : Il est certain que Jean ne vous a pas paru de lui-même léger et inconstant, puisque cette ardeur avec laquelle vous l’avez été trouver en foule prouve le contraire. Vous ne pouvez pas dire non plus qu’étant ferme par lui-même, il s’est laissé amollir et relâcher par les délices de la vie.
Car les hommes sont d’ordinaire ce qu’ils sont, ou parce qu’ils sont nés tels, ou parce qu’ils le sont devenus ensuite. Il y a des personnes qui sont colères naturellement. Il y en a d’autres qui, tombés dans une longue maladie, sont devenus colères par l’impatience que leur a causé leur mal. Il y en a de même qui sont légers et inconstants de leur nature, et il y en a d’autres qui le sont devenus en vivant dans le luxe et dans les délices. Mais Jean leur dit Jésus-Christ, n’est ni léger par lui-même, puisque « vous n’êtes point allés dans le désert pour y voir un roseau agité du vent ;» et il n’a point depuis cessé d’être ferme, en s’abandonnant au plaisir et au luxe, puisque son vêtement, son désert et sa prison prouvent le contraire. S’il avait aimé les délices, il n’aurait point choisi un désert pour sa demeure. Il aurait bien pu aussi éviter la prison, et demeurer dans les maisons des princes. Il n’avait qu’à se taire pour cela, et il eût joui en paix d’un très grand bon fleur. Car si Hérode l’a tant respecté,