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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 7, 1865.djvu/336

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ne l’a point offensé ? Comment évitera-t-il l’enfer puisqu’il est pire que les païens mêmes ? C’est, mes frères, ce qui me remplit de douleur. Nous devrions imiter les anges, ou plutôt le Seigneur et le Dieu des anges, et nous imitons le démon. Car je sais que dans l’Église même il y a beaucoup d’envieux, et encore plus entre nous autres qui en sommes les ministres, qu’entre les fidèles qui nous sont soumis. C’est pourquoi il est bon que nous nous parlions aussi à nous-mêmes.
Dites-moi donc, vous qui êtes ministre de l’Église : pourquoi portez-vous envie à cet homme ? Est-ce parce que vous le voyez élevé en dignité et en honneur, et célèbre par son éloquence ? Ne savez-vous pas que tous ces avantages sont souvent de véritables maux pour ceux qui ne veillent pas assez sur eux ? qu’ils les rendent orgueilleux, vains, insolents et lâches ? et qu’enfin ils disparaissent bientôt et perdent tout leur éclat ? Car ce qu’il y a de plus déplorable dans ces faux biens, c’est que le plaisir qui en naît est court, et que les maux qu’ils causent sont éternels. Dites-moi donc en vérité, est-ce là le sujet de votre envie ?
Mais il est puissant, dites-vous, auprès de l’évêque. Il conduit, il ordonne, il fait tout ce qui lui plaît. II peut faire du mal à tous ceux qui lui résistent. Il peut faire du bien à tous ceux qui le flattent. Enfin il a toute la puissance entre les mains. Les gens du monde pourraient parler de la sorte. On excuserait ces pensées dans des hommes charnels, et tout attachés à la terre. Mais un homme spirituel en est incapable. Car que lui pourrait faire celui que vous prétendez être si puissant ? Le déposera-t-il de sa dignité ? Quel mal en recevra-t-il ? s’il mérite d’être déposé, ce sera son bien, puisque rien n’irrite Dieu davantage, que d’être dans les fonctions saintes et d’en être indigne. Que si c’est à tort qu’il le dépose, toute la honte de cette action retombe sur celui qui l’a faite, et non sur celui qui la souffre. Car celui à qui l’on fait une si grande injustice, et qui la souffre généreusement, en devient bien plus pur, et en acquiert une bien plus grande confiance auprès de Dieu.
Ne pensons donc point, mes frères, aux moyens d’avoir des dignités, des honneurs et des charges ecclésiastiques, mais aux moyens d’avoir de véritables vertus. Les dignités portent d’elles-mêmes à faire beaucoup de choses qui ne plaisent pas à Dieu. Il faut avoir une vertu grande et héroïque pour n’en user que selon les règles de son devoir. Un homme qui est sans charge se purifie et se perfectionne par l’humilité de son état même. Mais celui qui est dans une dignité, est semblable à un homme qui demeurerait avec une fille d’une rare beauté, et qui serait obligé de n’arrêter jamais les yeux sur elle. C’est ainsi que ceux qui sont puissants dans l’Église doivent craindre de se laisser éblouir par l’éclat de leur puissance.
Telle est la puissance ; elle en pousse beaucoup à traiter injurieusement les autres ; elles ont allumé la colère dans leur cœur ; elles ont rompu le frein de leur langue, pour ouvrir leur bouche aux paroles insolentes et injurieuses, et enfin elles ont été à leur égard comme une tempête furieuse, qui rompt tous les mâts et les cordages d’un vaisseau, et qui le fait périr au milieu des flots. Croyez-vous donc un homme heureux, lorsqu’il est environné de tous ces périls, et son état vous paraît-il bien digne d’envie ? Il faudrait, ce me semble, avoir perdu le sens pour en juger de la sorte. Que si ces périls secrets et invisibles ne vous touchent pas assez, représentez-vous encore combien ces personnes qui sont en charge sont exposées aux flatteries, aux jalousies et aux médisances. Appelez-vous donc cet état un état heureux et digne d’envie ?
Mais tout le peuple, dites-vous, honore cet homme. De quoi lui sert cet honneur ? Est-ce le peuple qui le jugera ? Est-ce au peuple qu’il rendra compte de ses actions ? N’est-ce pas Dieu qui lui redemandera un compte très-exact de toute sa vie ? Ne tremblez-vous point pour lui, lorsque le peuple l’estime ? Cet applaudissement et ces louanges, ne sont-ce pas comme autant d’écueils et de rochers où il est en danger de se perdre ? Plus les honneurs que le peuple lui rend sont grands, plus ils sont accompagnés de périls, de soins et d’inquiétudes. Celui qui dépend ainsi du peuple a bien de la peine à respirer un peu, et à demeurer ferme dans le même état. Quelque vertu que ces hommes aient d’ailleurs, il leur est très difficile de se sauver, et d’entrer dans le royaume de Dieu.
Rien ne corrompt tant l’esprit et ne relâche tant les mœurs, que cet honneur qu’on reçoit du peuple qui rend les prélats timides, lâches, flatteurs et hypocrites. Pourquoi les pharisiens disaient-ils que Jésus-Christ était possédé du