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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 7, 1865.djvu/337

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démon, sinon par un désir ardent d’être estimés et d’être honorés du peuple ? Et d’où vient au contraire que les autres Juifs jugeaient plus favorablement du Sauveur, sinon parce qu’ils n’étaient pas frappés de cette passion comme les pharisiens ? Car rien ne rend un esprit si déraisonnable et si insensé que cette avidité de la gloire ; et rien ne le rend si équitable, si solide et si ferme que le mépris de l’honneur. C’est pourquoi ce n’est pas sans sujet que je vous ai dit qu’il faut qu’un homme qui est en charge ait un esprit ferme et héroïque pour résister à tant de flots dont il est battu, et pour se sauver de la tempête, qui l’attaque de toutes parts. Car quand un homme est possédé du désir de l’honneur, lorsque le vent de la gloire humaine lui est favorable, il est prêt à s’exposer à tout : et lorsqu’il lui est contraire, il s’abîme dans la tristesse. La gloire est pour un tel homme un paradis, et le déshonneur un enfer.
5. Est-ce donc là le sujet de votre envie, et n’en devriez-vous pas plutôt faire le sujet de votre compassion et de vos larmes ? Lorsque vous croyez l’état de ces personnes digne d’envie, il me semble que vous êtes semblable à celui qui voyant un misérable lié, fouetté cruellement, ou déchiré par des bêtes farouches, regarderait avec envie sa douleur cuisante, et le sang qui lui coulerait de toutes parts. Car autant il y a d’hommes dans tout un peuple, autant ce ministre de l’Église a de liens qui l’environnent, et de maîtres auxquels il doit obéir. Ce qui est encore plus insupportable, c’est que chaque homme a ses pensées différentes, Ils attribuent tout le mal qui arrive à celui qui les conduit. Ils n’examinent rien à fond. Qu’une imputation imaginaire et sans fondement vienne à quelqu’un d’eux, elle passera pour une vérité constante dans l’esprit de tous les autres.
Quelle tempête est aussi pénible à souffrir que ces bizarreries du peuple ? Celui qui s’arrête à ces louanges populaires, est comme ces flots de la mer qui s’élèvent jusqu’au ciel, et s’abaissent ensuite jusqu’aux abîmes il est toujours dans l’agitation, et jamais en paix. Avant que le jour de parler publiquement soit venu, il tremble de peur, et il appréhende le succès ; et après que son discours est prononcé, ou il meurt de déplaisir et de tristesse, ou il entre dans une joie excessive qui est pire encore que son déplaisir. Car il est aisé de voir combien cette joie nuit à l’âme par les mauvais effets qu’elle y cause. Elle la rend légère et inconstante, sans solidité et volage.
Nous pouvons voir une preuve de cette vérité dans ces excellents hommes de l’Ancien Testament. Quand David a-t-il fait paraître plus de vertu ? Est-ce lorsqu’il était dans le bonheur ou dans la joie, ou lorsqu’il était accablé de tristesse et de misère ? Quand les Juifs servaient-ils Dieu avec plus de fidélité ? Était-ce lorsque l’extrémité de leurs maux les obligeait d’appeler Dieu à leur secours que la joie qu’ils ressentaient dans le désert les portait à adorer le veau d’or ? C’est ce qui a fait dire à Salomon, qui savait parfaitement ce que c’était que la joie : « qu’il vaut mieux aller dans une maison de pleurs que dans celle où l’on rit » (Qo. 7,2) ; et que Jésus-Christ appelle heureux ceux qui pleurent, et ceux qui rient malheureux : « Malheur à vous qui riez, parce que vous pleurerez ! » Et c’est avec grande raison qu’il parle de la sorte, parce que l’âme devient plus molle et plus relâchée dans la joie ; au lieu que dans la tristesse elle rentre en elle-même, elle devient plus sage et plus modérée, elle se dégage de ses passions, elle s’élève plus aisément vers Dieu, et elle trouve en soi-même plus de solidité et de force.
Pensons, mes frères, à ces vérités : fuyons la vaine gloire et le faux plaisir qu’on y trouve, afin de mériter cette gloire véritable qui ne passera jamais, que je vous souhaite, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui est la gloire et l’empire dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.