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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 7, 1865.djvu/34

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Car, si lors même qu’étant pécheurs nous sommes justifiés, pourvu que nous nous croyions tels que nous sommes, comme on le voit par l’exemple du publicain ; combien serons-nous plus agréables à Dieu, si étant justes, nous croyons être pécheurs ? Si l’humilité justifie le pécheur, quoiqu’elle soit en lui plutôt une confession de son indignité qu’une humilité véritable ; combien sera-t-elle puissante dans le juste même ? Ne perdez point le fruit de vos travaux. Ne rendez point inutiles toutes vos peines ; et ne vous exposez point à demeurer sans récompenses, après avoir fait une longue course. Dieu connaît mieux que vous le bien que vous faites. Quand vous ne donneriez qu’un verre d’eau, il ne le méprise pas. Il compte jusqu’à la plus petite aumône, jusqu’à un soupir même. Il reçoit tout ; il se souvient de tout ; et il vous prépare une grande récompense.
Pourquoi donc comptez-vous si exactement vous-même vos bonnes œuvres ? Pourquoi nous en parlez-vous si souvent ? Ignorez-vous que si vous vous louez vous-même, Dieu ne vous louera jamais ? Et que si au contraire vous pleurez sur vous-même comme étant digne de compassion, il ne cessera point de publier vos louanges ? Il ne veut point diminuer le fruit de vos travaux. Que dis-je, diminuer ? Il fait tout, il ménage tout afin de vous couronner pour de très-petites choses, et il cherche par tous les moyens à vous délivrer de l’enfer.
5. C’est pourquoi, quand vous n’auriez commencé qu’à travailler à la dernière heure, il ne laissera pas de vous donner la récompense tout entière, « Quand il n’y aurait rien en vous qui contribuât à votre salut, néanmoins c’est pour moi-même que je vous fais grâce », dit le Seigneur, « afin que mon nom ne soit point blasphémé. » (Ez. 36,22) Vous ne laisseriez échapper qu’un soupir, qu’une larme, il la prend aussitôt, et il s’en sert pour vous guérir.
Ainsi évitons surtout de nous élever dans des sentiments d’orgueil. Protestons que nous sommes des serviteurs inutiles, afin que Dieu nous rende dignes de le servir. Si vous vous croyez un bon serviteur, vous deviendrez inutile quand vous seriez bon ; si vous vous croyez mauvais, vous deviendrez bon quand vous seriez inutile. C’est ce qui fait voir la nécessité d’oublier ses bonnes œuvres.
Mais comment cela se peut-il faire ? dites-vous. Comment pouvons-nous ignorer ce que nous savons ? Quoi ! vous offensez Dieu tout le jour, et après cela vous vous divertissez, vous riez, tant vous savez bien oublier les nombreux péchés que vous commettez, et vous ne pouvez oublier le peu de bien que vous faites ? La crainte néanmoins des jugements de Dieu nous devrait bien plus toucher que la complaisance d’une bonne œuvre. Et néanmoins il arrive tout le contraire. Nous offensons Dieu tous les jours et nous n’y faisons pas la moindre réflexion, et si nous donnons à un pauvre la moindre chose, nous sommes prêts à le publier partout. C’est certainement de la folie. C’est dissiper les richesses spirituelles au lieu de les amasser. L’oubli de nos bonnes œuvres en est le trésor et la garde la plus assurée. Lorsqu’on porte publiquement de l’or ou des vêtements précieux, on invite les voleurs à chercher les moyens de les voler ; mais lorsqu’on les tient cachés dans sa maison, on les y conserve en sûreté. Il en est de même des richesses des vertus. Si nous les retenons toujours dans notre mémoire, d’abord nous irritons Dieu, puis nous armons notre ennemi contre nous, et nous l’invitons à les dérober ; mais si elles ne sont connues que de Celui qui doit les connaître, nous les posséderons dans une pleine assurance. N’exposez donc pas les richesses de vos vertus, de peur qu’on ne vous les ravisse, et qu’il ne vous arrive ce qui arriva au pharisien, qui portait sur ses lèvres le trésor de ses bonnes œuvres et donna ainsi au démon le moyen de le dérober. Il ne parlait de ses vertus qu’avec actions de grâces et il les rapportait toutes à Dieu, et néanmoins cela ne le sauva point. Car ce n’est pas rendre grâce à Dieu que de rechercher sa propre gloire, que d’insulter aux autres, et de s’élever au-dessus d’eux. Si vous rendez grâces à Dieu, ne pensez qu’à plaire à lui seul ; ne cherchez point à être connu des hommes ; ne jugez point votre prochain ; autrement, votre action de grâces n’est point véritable.
Voulez-vous voir un modèle admirable de la reconnaissance des bienfaits de Dieu ? Écoutez ces trois jeunes hommes au milieu de la fournaise : « Nous avons péché », disent-ils, « nous avons commis l’iniquité ; vous êtes juste, Seigneur, dans tout ce que vous nous avez fait, parce que vous avez fait tomber ces maux sur nous par un effet de votre justice (24). » (Dan. 3,28)