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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 7, 1865.djvu/356

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qu’ils firent, puisque, se sentant comme frappés par une verge de feu, ils coururent en foule à Pharaon et le contraignirent de faire sortir le peuple hébreu. C’est une pensée bien dépourvue de toute raison, de croire que ce soit une grande consolation d’être puni avec beaucoup d’autres, et de dire : Il ne m’arrivera que ce qui arrive à tout le monde. Un tel raisonnement est si loin d’adoucir les maux de l’enfer, qu’il ne rend pas même plus supportables ceux de cette vie. Considérez, je vous prie, ceux qui sont tourmentés de la goutte. Je vous demande si, lorsqu’ils souffrent les douleurs les plus aiguës, ils seraient fort disposés à se consoler, lorsque vous leur représenteriez qu’il y en a mille qui souffrent autant ou même plus qu’eux ? Il leur est impossible de tirer de là le moindre soulagement. Leur esprit est tout occupé par la violence de leur mal. Il est comme absorbé dans cette pensée, et il ne lui en reste plus pour faire aucune réflexion sur les maux des autres.
Ainsi ne nous flattons point d’une espérance si fausse et si malheureuse. La vue de ce que souffrent les autres peut nous consoler dans les petits maux ; mais quand la douleur est vive et perçante, l’âme en est tellement possédée, que, bien loin de penser aux autres, elle ne se connaît plus elle-même. Loin donc ces consolations imaginaires ! Loin ces raisonnements frivoles, ou plutôt ces contes fabuleux, qui ne sont bons à dire qu’aux petits enfants. Ce moyen de consolation, qui consiste à se dire que tel et tel sont dans le même cas que soi, produit tout au plus quelque effet dans les médiocres chagrins ; que, s’il ne diminue pas toujours même les petits chagrins, comment adoucirait-il l’effroyable tourment que l’Évangile exprime par le grincement de dents ?
5. Je sens que ce que je vous dis vous afflige, et que ce discours vous fait de la peine à entendre. Mais que voulez-vous que je fasse ? Plût à Dieu que vous fussiez tous si vertueux, que je ne fusse point obligé de vous parler de l’enfer ! Mais puisque nous sommes la plupart engagés dans le péché, je voudrais de tout mon cœur que mes paroles, entrant dans vos esprits, pussent y imprimer le sentiment d’une douleur véritable. Je cesserais alors de vous représenter ces objets funestes.
Mais jusques ici je n’ai que des sujets de craindre pour la plupart de vous, et d’appréhender que le mépris que vous faites de ce que je dis, ne vous attire un plus grand supplice. Vous savez que lorsqu’un serviteur est assez insolent pour mépriser les menaces de son maître, ce mépris même est une nouvelle faute dont on le punit encore plus sévèrement. C’est pourquoi je vous conjure, mes frères, d’entrer dans des sentiments de componction, lorsque nous vous parlons de l’enfer. Il doit être doux d’en entendre parler, parce qu’il n’y a rien de plus triste ni de plus effroyable que d’y tomber.
Vous me demanderez peut-être comment on peut trouver du plaisir à entendre parler de l’enfer. Il y en a sans doute, mes frères, car l’enfer est une chose si horrible, que les entretiens qui servent à nous en éloigner, quel que durs et insupportables qu’ils paraissent, doivent être doux. Nous en tirons de plus grands avantages. Car ils font rentrer notre âme en elle-même, ils la rendent plus innocente, ils élèvent ses pensées au ciel, ils la détachent de la terre et de toutes ses passions. Enfin ils lui servent comme d’un excellent remède qui prévient les maux et qui l’empêche d’y tomber.
Maintenant que j’ai parlé du supplice des damnés, permettez-moi de vous parler encore de leur honte. Car, comme les Ninivites condamneront les Juifs, de même beaucoup de ceux qui paraissent vils et méprisables parmi nous, s’élèveront contre nous alors pour nous condamner. Représentons-nous donc quelle sera cette confusion, afin que cette pensée nous jette dans quelque commencement de pénitence. Je vous déclare encore une fois que je me dis ceci à moi-même. Je m’exhorte le premier en vous exhortant. Ainsi que personne ne se fâche contre moi ; que nul ne croie que je le méprise et que je le condamne. Entrons, mes frères, dans la voie étroite. Jusques à quand la mollesse ? jusques à quand les délices ? Ne nous lasserons-nous jamais de notre indifférence, de nos froides plaisanteries, de nos délais insensés ? Ne changerons-nous jamais ? Est-ce que nos pensées ne s’élèveront jamais au-dessus des objets exprimés par ces mots de table, de bonne chère, de luxe, d’argent, de propriétés, de bâtiments ?
La fin de tout cela, quelle sera-t-elle ? la mort. Quelle sera encore un coup cette fin ? un peu de cendre et de poudre, les vers et la pourriture.