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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 7, 1865.djvu/392

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leurs villes pour le suivre dans les déserts, qu’ils le cherchaient avec tant de soin, et qu’ils ne pouvaient se séparer de lui malgré la faim qui les pressait.
Quoiqu’il eût résolu de les nourrir, il ne le fait pas de lui-même ni de son propre mouvement. Il attend qu’on le prie et qu’on lui parle. Il garde ici la coutume qu’il observait partout, de ne pas aller le premier au-devant des miracles, mais d’attendre que les occasions se présentent.
Mais d’où vient que personne parmi tout ce peuple ne s’adressa lui-même à Jésus-Christ, pour lui représenter son état ? C’est parce qu’ils avaient tous pour lui un profond respect, et que la joie qu’ils avaient de le suivre et de l’écouter, leur ôtait le sentiment de la nécessité où ils se trouvaient. Ses disciples même ne viennent point le prier de nourrir ce peuple, parce qu’ils étaient encore trop imparfaits. « Mais le soir étant venu, ses disciples l’allèrent trouver, et lui dirent : Ce lieu-ci est désert et l’heure est déjà passée : renvoyez le peuple afin qu’ils s’en aillent dans les villages acheter de quoi manger (15). » Car si même après avoir vu ce grand miracle, ils en perdent aussitôt la mémoire, et si après avoir remporté tant de corbeilles pleines des morceaux qui restaient, ils ne laissèrent pas encore de croire qu’il leur voulait parler de pain, lorsqu’il leur parlait « du levain » de la doctrine des pharisiens ; combien étaient-ils moins capables de s’attendre à un miracle dont rien de ce qu’ils avaient déjà vu ne pouvait leur donner l’idée ? Quoiqu’en ce moment même ils eussent vu toute sorte de maladies guéries devant leurs yeux, ils étaient néanmoins si faibles qu’il ne leur vint aucune pensée de la multiplication des pains.. Et considérez ici, mes frères, la sagesse avec laquelle Jésus-Christ les attire à la foi. Il ne leur dit point tout d’un coup qu’il les nourrirait lui-même. Ils ne l’eussent pas cru s’il leur eût parlé de la sorte. « Jésus leur répondit : Il n’est pas nécessaire qu’ils s’en aillent ; donnez-leur vous-mêmes à manger (16). » Il ne dit point : Je leur donnerai moi-même à manger ; mais « donnez leur-en vous-mêmes. » Car ils ne le regardaient encore que comme un homme. Cependant ces paroles ne les font point encore rentrer en eux-mêmes : et continuant de lui par1er toujours comme à un simple homme, ils lui disent : « Nous n’avons ici que cinq pains et deux poissons (17). » C’est pourquoi saint Marc écrit : « Qu’ils ne comprirent pas ce que « Jésus-Christ leur avait dit, parce que leur cœur était appesanti. » (Mc. 6,52) Mais Jésus voyant que leurs pensées restaient attachées à la terre, commence à se montrer et il dit : « Apportez-les-moi ici (18). » Si ce lieu est désert, il ne l’est point pour celui qui nourrit toute la terre, et si l’heure est déjà passée, celui qui vous parle n’est sujet ni aux heures ni au temps. Saint Jean marque que ces pains étaient « des pains d’orge », ce qu’il ne fait pas sans mystère, mais pour nous apprendre à fouler aux pieds toutes les délices du monde, et tout le luxe des tables. C’était aussi la nourriture ordinaire des prophètes.
2. « Et ayant commandé au peuple de s’asseoir sur l’herbe, il prit les cinq pains et les deux poissons, et levant les yeux au ciel il les bénit (19). » Pourquoi lève-t-il ainsi les yeux au ciel pour bénir ces pains ? Il fallait que l’on crût également de Jésus-Christ, qu’il était égal à Dieu, et qu’il était envoyé par son Père. Les marques qui prouvaient l’une et l’autre de ces vérités semblaient se combattre et s’entre-détruire. Car pour témoigner qu’il était égal à son Père, il devait tout faire de lui-même, et par sa propre puissance ; au lieu qu’il ne pouvait persuader les hommes que c’était son Père qui l’avait envoyé, qu’en témoignant envers lui une humilité profonde, qu’en lui rapportant toute la gloire de ses actions, et en l’invoquant lorsqu’il devait faire ses plus grands miracles. C’est pourquoi il ne s’est pas attaché exclusivement à l’une ou à l’autre de ces deux conduites ; mais il s’est servi de toutes les deux, et il les a tempérées l’une par l’autre. Tantôt il agit avec autorité ; tantôt il prie avant que d’agir. Et pour empêcher qu’il ne parût se contredire lui-même, lorsqu’il veut faire des miracles moins importants, il lève les yeux au ciel ; mais lorsqu’il fait quelque merveille plus extraordinaire, il agit souverainement et par une puissance absolue, pour nous apprendre qu’il ne tirait point d’ailleurs sa puissance dans les miracles ordinaires, et qu’il ne se servait de prière alors, que pour rendre honneur à Dieu son Père.
Ainsi lorsqu’il remit les péchés, qu’il ouvrit le paradis, et y fit entrer un voleur, qu’il abolit si hautement la loi ancienne, qu’il ressuscita tant de morts, qu’il mit un frein aux tempêtes de la mer, qu’il révéla le secret des cœurs,