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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 7, 1865.djvu/394

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pains de leurs propres mains, afin qu’il y eût plus de marques sensibles de ce qu’il allait faire, et plus de témoins de ce miracle. Car si après tant de preuves qu’ils en avaient, ils n’ont pas laissé de l’oublier, qu’auraient-ils fait ; s’il ne se fût conduit avec tant de précaution et de prudence ?
3. Il commande à tout le monde de s’asseoir sur l’herbe, pour inspirer à ce peuple un mépris de toutes les choses de la terre. Car il voulait aussi bien instruire l’âme que nourrir le corps. C’est pourquoi le lieu même où il fait ce miracle, le nombre certain des pains et des poissons, et cette distribution égale qui se fait à tous, sans préférer les uns aux autres, toutes ces choses, dis-je, sont pleines d’instruction : elles nous apprennent comment nous devons conserver l’humilité, la tempérance et la charité ; que nous devons avoir une bienveillance égale et uniforme envers tous, et que tout doit être commun entre les serviteurs d’un même Dieu.
« Ils en mangèrent tous et furent rassasiés, et on emporta douze paniers pleins des morceaux qui étaient restés (20). » Jésus-Christ ayant béni et rompu ces pains les donna à ses disciples, et les apôtres au peuple, et ces pains se multipliaient entre les mains des apôtres. Il ne borna pas la multiplication au besoin du peuple, il la fit surabonder, puisqu’il resta non seulement des pains entiers, mais encore des morceaux, afin que ceux qui n’étaient pas présents alors connussent par ces restes la vérité de ce qui s’était passé. Il attend que le peuple ait faim, afin qu’on ne prenne point cette action pour une illusion et un songe li veut encore qu’il en reste douze corbeilles afin que Judas même porte la sienne.
Le Sauveur aurait pu, s’il l’eût voulu, éteindre invisiblement la faim ; mais ses apôtres n’eussent rien vu de ce miracle caché, outre que cela s’était déjà fait dans la personne d’Élie et n’eût pas été si surprenant ; au lieu que les Juifs furent tellement épouvantés de ce miracle, qu’ils voulurent sur-le-champ faire Jésus-Christ leur roi, ce qu’ils n’avaient encore fait pour aucun autre de ses prodiges. « Or ceux qui mangèrent de ces pains étaient au nombre d’environ cinq mille hommes, sans compter les femmes et les petits enfants(21). » Mais qui pourrait ici, mes frères, relever par ces paroles la grandeur de ce miracle ? Qui pourrait expliquer comment ces pains se multipliaient, comment ils sortaient des mains de Jésus-Christ comme d’une source féconde qui coulait ensuite clans tout ce désert et qui suffisait pour nourrir tant de personnes ? Car l’Évangile marque expressément qu’il y avait jusqu’à « cinq mille hommes sans les femmes et les enfants. » C’est encore quelque chose qui fait l’éloge de ce peuple, que les femmes témoignent autant d’ardeur que les hommes pour suivre Jésus-Christ.
Mais que dirons-nous aussi de « ces restes ? » C’est un second miracle qui n’est pas moindre que le premier ? Pourquoi le nombre des corbeilles qui en reste est-il si juste, qu’il égale celui des apôtres ? Pourquoi n’y en a-t-il pas pus ou moins de douze ? Lorsqu’il fait ramasser ces restes, il ne les donne point au peuple, mais il donne ordre à ses disciples de les emporter, parce que le peuple était plus faible et plus imparfait que ses disciples. « Aussitôt Jésus obligea ses disciples de monter sur une barque, et de passer à l’autre bord avant lui en attendant qu’il renvoyât le peuple (22). » Si ce miracle leur semblait une illusion lorsque Jésus-Christ était présent avec eux, et s’ils doutaient de la vérité de ce qu’ils voyaient, ils devaient se désabuser au moins lorsqu’il était absent. C’est pourquoi, pour leur permettre de soumettre à un examen attentif ce qui venait de se passer, il leur fait prendre ces restes, preuves palpables du prodige, et les fait partir sans lui.
On voit qu’ailleurs, lorsqu’il est près de faire ses plus grands miracles, il fait retirer le peuple, et souvent même ses disciples, pour nous apprendre à ne chercher jamais la gloire des hommes, et à ne les point attirer à notre suite. Ce mot de l’Évangile, « il obligea, » marque le grand amour que les disciples avaient pour Jésus-Christ, et combien ils aimaient sa présence. Il les renvoie donc sans lui, sous prétexte de demeurer pour congédier le peuple ; mais en effet, pour se retirer seul sur la montagne. Il agissait de la sorte pour nous donner une instruction très-importante en nous apprenant à ne converser pas continuellement avec le monde, et à ne pas nous en éloigner non plus toujours, mais à faire l’un et l’autre utilement, modifiant notre conduite suivant le besoin du moment.
Apprenons donc, mes frères, à suivre le Fils de Dieu, et à nous attacher à lui, mais non à cause de ses faveurs sensibles, pour ne pas