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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 7, 1865.djvu/395

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tomber dans ce reproche honteux qu’il fit aux Juifs : « En vérité, en vérité, je vous le dis, vous « me cherchez, non parce que vous avez vu ces miracles, mais parce que vous avez mangé des pains et que vous avez été rassasiés. » (Jn. 6,26) C’est pour cette raison qu’il a évité de faire souvent ce miracle, et qu’il s’est contenté de le faire seulement deux fois, pour nous apprendre à n’être point les esclaves de l’intempérance, mais à nous élever au-dessus de ces choses basses et terrestres pour nous appliquer entièrement aux spirituelles.
Que ce soit là notre occupation, mes frères. Cherchons continuellement ce pain céleste et divin ; et lorsque nous l’aurons reçu, bannissons tout autre soin, et tout autre désir de nos âmes. Si ce peuple quitte et oublie sa maison, sa ville, ses proches, et toutes ses affaires ; s’il va dans le fond des déserts, sans que la faim et la nécessité l’en puisse chasser ; combien plus le devons-nous faire, lorsque nous approchons de la sainte table ? combien devons-nous avoir plus de zèle et plus d’ardeur pour les choses spirituelles, et ne donner à l’avenir que les moindres de nos pensées aux affaires d’ici-bas ? Car nous voyons ici le reproche que Jésus – Christ fait aux Juifs, non parce qu’ils le cherchaient à cause des pains qu’il avait multipliés ; mais parce qu’ils ne le recherchaient qu’à cause de cela, et qu’ils en faisaient leur fin principale.
Celui qui a reçu de Dieu de grands dons, et qui les méprise pour s’attacher avec passion à d’autres qui sont infiniment moindres, et que celui-là même qui les lui donne l’oblige de négliger, perd par son ingratitude ces grandes grâces qu’il avait reçues. Que s’il recherche au contraire les choses grandes et spirituelles, Dieu lui donnera les autres « comme par surcroît ». Car les biens de la terre, quelque grands qu’ils paraissent, sont si petits, si on les compare avec les véritables biens, qui sont ceux de l’âme, qu’ils ne tiennent lieu que comme d’un accessoire à l’égard des autres.
Ne rabaissons donc point nos affections à des objets qui le méritent si peu. Regardons ces biens avec tant d’indifférence, qu’il nous soit égal ou de les posséder ou de les perdre. C’était la disposition où se trouvait le bienheureux Job. Il ne s’était pas attaché à ses richesses lorsqu’il les avait, et il ne s’affligea point lorsqu’elles lui furent ôtées.
Vous savez que dans la langue grecque, nous donnons à l’argent le nom « d’usage » cela veut dire que nous ne le devons pas cacher en terre, mais nous en servir selon nos besoins. Comme donc chaque artisan sait le métier qui le fait vivre, que les riches de même apprennent le leur. Le métier des riches ce n’est point de bâtir une maison, ou de construire un vaisseau, ou de travailler le bois et l’or ; mais de bien user des richesses que Dieu leur a données, et de les employer pour nourrir les pauvres. C’est là leur occupation et leur art, qui est sans comparaison le plus élevé de tous les arts. Le lieu où l’on apprend cet art divin est le ciel. Les instruments n’en sont ni le fer ami le cuivre, mais la bonne volonté. Le maître qui l’enseigne est Jésus-Christ même, et Dieu son Père : « Soyez miséricordieux », dit-il, « comme votre Père qui est « dans le ciel. »
4. Ce qu’il y a d’admirable dans cet art, c’est que bien qu’il soit si fort au-dessus de tous les autres, il ne faut ni beaucoup de peine, ni beaucoup de temps pour l’apprendre. La seule volonté suffit, et tout dépend de le vouloir. La fin de cet art, c’est le ciel et les biens infinis qui y sont, cette gloire ineffable, cette couche nuptiale, ces lampes éclatantes, cette demeure éternelle avec le céleste Époux, et tant d’autres choses qui ne peuvent être ni conçues par la pensée, ni représentées par la parole des hommes. Cette considération relève cet art infiniment au-dessus des autres ; puisqu’ils ne servent que pour cette vie si malheureuse et si courte, au lieu que celui-là nous mène à une vie éternellement heureuse.
Que si cet art d’user bien des richesses, et d’en assister les pauvres, a tant d’avantage sur les arts les plus nécessaires, comme sur la médecine, sur l’architecture et sur les autres arts utiles pour cette vie, combien en doit-il avoir davantage sur ceux qu’on ne peut même raisonnablement appeler des arts ? Car comment pourrait-on donner ce nom à des occupations entièrement inutiles et si superflues ? A quoi peut être bon l’art aujourd’hui si estimé des cuisiniers et des pâtissiers ? Quelle utilité en peut-on retirer, ou plutôt quel mal n’en reçoit-on pas, et dans l’âme et dans le corps ? Ne sont-ce pas eux qui jettent les hommes dans le luxe des festins et dans la bonne chère qui est la source et comme la mère de toutes les maladies du corps et de toutes les passions de l’âme ?
Je ne