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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 7, 1865.djvu/412

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dans une lumière inaccessible, et nous nous en approchons pour le prier de nous délivrer de l’enfer, de nous pardonner nos péchés ; d’éloigner de nous les tourments insupportables que nous avons mérités, de nous donner le ciel, et les biens dont jouissent les saints. Prosternons-rions donc devant lui de corps et d’esprit, afin qu’il nous relève lui-même. Invoquons sa miséricorde avec un cœur contrit et avec une humilité parfaite.
6. Vous me demandez peut-être qui est assez misérable pour n’être pas humble quand il prie ? C’est celui qui prie, lorsqu’il a le cœur plein d’imprécations et de fureur, qui persécute ses ennemis, et qui crie contre eux pour en demander vengeance. Si vous voulez accuser quelqu’un dans vos prières, accusez-vous vous-même. Si vous voulez en priant armer votre langue contre les fautes de quelqu’un, que ce soit contre les vôtres. N’y représentez point à Dieu le mal que les hommes vous ont fait, mais celui que vous vous êtes fait à vous-même. Personne ne peut vous faire de tort si vous ne vous en faites pas vous-même le premier. Si vous demandez vengeance contre ceux qui vous offensent, demandez vengeance contre vous-même. Personne ne vous en empêche. Quand vous attaquez un autre homme pour vous en venger, le mal que vous lui faites vous blesse encore plus que vous ne l’étiez auparavant.
Mais quelles sont ces offenses dont vous souhaitez d’être vengé ? Est-ce qu’un autre vous a fait un affront, une injustice ? est-ce qu’il vous a exposé à quelque péril ? Appelez-vous cela souffrir une offense ? si nous étions chrétiens, nous regarderions cela comme une grâce. Ce n’est pas celui qui souffre une injure que je trouve à plaindre, c’est celui même qui la fait. La source de nos maux, mes frères, c’est que nous ne comprenons pas encore quel est véritablement celui qui fait ou qui souffre une injustice. Si nous étions en ce point bien persuadés de la vérité, nous ne nous ferions pas si souvent tort à nous-mêmes, et nous n’invoquerions pas Dieu contre nos frères ; parce que nous serions très-assurés que tous les hommes ensemble ne peuvent nous faire aucun tort.
C’est le voleur qui est à plaindre, et non celui qu’il a volé. Si vous avez donc volé les autres, accusez-vous-en devant Dieu ; mais si un autre vous a volé, priez non contre lui, mais pour lui ; parce que dans la vérité, il vous a fait un grand bien en se faisant un grand mal. Quoiqu’il n’ait pas eu cette pensée en vous dérobant, il n’est pas douteux néanmoins qu’il vous a beaucoup obligé malgré 1ui-même, si vous souffrez chrétiennement cette, injustice. Toutes les lois humaines et divines s’arment contre cet usurpateur injuste ; et elles vous promettent au contraire, si vous souffrez cet outrage, un véritable, bonheur et une éclatante couronne.
Dirait-on qu’un malade qui dans une fièvre violente aurait pris à un autre un vase plein d’eau fraîche pour satisfaire la soif qui le brûle aurait fait grand tort à celui auquel il a fait ce larcin ? Ne dirait-on pas plutôt qu’il se serait perdu lui-même, puisqu’il a augmenté sa fièvre, et qu’il a rendu sa maladie plus dangereuse ? Jugez, de même d’un avare lorsqu’il fait une injustice. Il est brûlé d’une fièvre sans comparaison plus grande que n’est celle des malades, et les rapines qu’il fait ne servent qu’à allumer encore davantage le feu qui le consume. Si un homme transporté de fureur arrachait l’épée d’un autre, pour s’en percer, lequel des deux aurait souffert la violence, celui dont on prend l’épée, ou l’autre qui l’arrache pour s’en percer ? N’est-il pas visible que c’est ce dernier ?
Disons la même chose de celui qui vole le bien d’un autre. L’argent est à l’avare ce que l’épée est au furieux. On peut dire même que c’est quelque chose encore de plus dangereux. Quand un furieux s’est une fois percé le corps de cette, épée qu’il a prise, il cesse, d’être furieux en cessant de vivre, et il ne peut plusse faire de nouvelles plaies ; mais l’avare se fait chaque jour cent blessures plus dangereuses que ne sont celles de ce furieux, sans qu’il soit pour cela délivré de sa fureur. Elle en devient au contraire plus ardente qu’auparavant. Ses dernières blessures donnent toujours lieu à de nouvelles, et plus il est percé de coups, plus il se met en état de l’être encore davantage.
Pensons souvent à ceci, mes frères. Fuyons l’avarice. Détournons de nous cette épée funeste. Évitons cette mortelle fureur. Devenons enfin sages quoique trop tard. Celui qui n’est point avare ne mérite pas moins le nom de sage que ceux qui se possèdent eux-mêmes, et qui ne courent point aux épées pour s’ôter la vie. Le furieux n’a qu’une passion à combattre, mais l’avare en a une infinité à vaincre.