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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 7, 1865.djvu/426

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vous souvenez-vous point des cinq pains distribués à cinq mille hommes, et combien vous en avez remporté de paniers, et des sept pains distribués à quatre mille hommes, et combien vous en avez remporté de corbeilles ? » Il leur marque avec soin le nombre des personnes qui furent rassasiées et celui des paniers qui restèrent, afin qu’en rappelant en leur mémoire toutes ces particularités, il les rendît plus vigilants et plus fidèles pour l’avenir. Et pour comprendre mieux quelle fut la force de cette réprimande et quel effet elle produisit sur les apôtres en les faisant sortir comme, d’un profond assoupissement, il ne faut que considérer les paroles de notre Évangile. Sans les réprimander davantage, Jésus ajouté seulement après ce reproche : « Comment ne comprenez-vous point que je ne vous parlais pas de pain, lorsque je vous ai dit de, vous garder du levain des pharisiens et des sadducéens (11) ? » Et néanmoins l’Évangéliste leur rend ce témoignage. « Alors ils comprirent qu’il ne leur avait point dit de se garder du levain qu’on met dans le pain, mais de la doctrine des pharisiens et des sadducéens (12). » Ils comprirent sans aucune interprétation de la part de leur Maître. Voyez-vous le bien qu’une réprimande faite à propos produit dans les âmes ? Car on voit que celle-ci éloigna les apôtres de ces observances judaïques, et que de lâches qu’ils étaient auparavant, oubliant tout et négligeant tout, elle les rendit au contraire si ardents, et redoubla leur foi de telle sorte, qu’ils ne craignaient plus ni de manquer de pain, ni de tomber dans les extrémités les plus pressantes.
Que cet exemple donc, mes frères, apprenne aux pasteurs à n’avoir pas toujours une complaisance lâche et molle pour ceux qui leur sont soumis ; et aux-peuples à ne pas rechercher une douceur excessive dans les pasteurs qui les conduisent. L’homme est si faible qu’il a toujours besoin de ces deux remèdes, de la force et de la douceur. C’est par ce double moyen que Dieu a toujours gouverné le monde. Tantôt il a usé de sévérité, et tantôt de grâce, et il a mêlé divinement les biens et les maux ensemble. Il ne nous laisse pas toujours vivre ou dans l’affliction ou dans la joie ; mais comme le jour succède à la nuit, et l’été à l’hiver, il nous fait passer de même de la tristesse à la joie, des maux aux biens, et de la maladie à la santé.
4. Ne soyons donc point surpris, mes frères, lorsque nous tombons dans la maladie, puisque que c’est au contraire de la santé que nous devons être surpris. Ne nous troublons point lorsque nous souffrons quelque douleur, puisque nous devons plutôt nous troubler d’être dans la joie. Ces deux différents états s’entre-suivent et se succèdent toujours. Pourriez-vous vous étonner de vous voir sujets à telle vicissitude de biens, et de maux, puisque les plus grands n’en ont pas été exempts ?
Pour vous convaincre de ce que je dis, examinez la vie de quelque saint que vous croirez avoir été moins sujet aux maux, et avoir joui de plus de biens. Voulez-vous que ce soit Abraham ? voulez-vous que nous considérions son état dès le commencement de sa vie ? Écoutez ce que Dieu lui dit d’abord : « Sortez de votre terre et du milieu de vos parents. » (Gen. 12,1). Vous voyez sans doute combien ce premier commandement qu’il reçoit de Dieu semble dur ; voyez maintenant comment le bien succède au mal, et la joie à la tristesse : « Et venez dans la terre que je vous montrerai, où je vous établirai le chef d’une grande race. »
Ne croyez pas que lorsqu’il fut arrivé dans cette terre comme dans un port tranquille, il cessa d’être dans les maux. Ce fut alors au contraire qu’il en ressentit d’infiniment plus fâcheux. Ce fut alors qu’il fut affligé de la famine ; qu’il fut obligé d’aller dans un pays étranger, et qu’il vit enlever sa femme. Mais il vit aussi succéder ensuite à ces maux de nouvelles grâces. Il vit la plaie dont Dieu frappa Pharaon à son sujet, l’honneur avec lequel ce roi lui permit de s’en retourner, l’estime qu’il lui témoigna, les présents dont il le combla, et enfin son heureux retour dans son pays et dans sa maison. On voit ainsi dans toute la suite de sa vie une succession continuelle de biens et de maux, de prospérités et d’adversités. Tel a été dans, la suite l’état de tous les apôtres. C’est pourquoi saint Paul dit : « Je bénis Dieu qui nous console dans toutes nos peines, afin que nous puissions aussi consoler nous-mêmes ceux qui souffrent toutes sortes d’afflictions. » (2Cor. 1,4)
Mais que me fait cela, me direz-vous, moi qui suis continuellement dans la douleur ? Ne soyez point ingrat, mon frère, ne méconnaissez pas les grâces que Dieu vous fait. Cet état que vous dites est un état qui ne peut exister. Il est impossible d’être d’une de continuelles