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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 7, 1865.djvu/439

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qui l’on propose une chose, libre de la faire ou de ne la faire pas, c’est un moyen bien plus puissant pour l’attirer à ce qu’on désire de lui. Car les paroles douces et obligeantes font plus d’effet sur nos esprits que la force et la contrainte. C’est pour cette raison que Jésus-Christ dit sans user de violence : « Si quelqu’un veut, » etc. Les biens que je vous offre, dit-il, sont si grands et si considérables, qu’ils méritent assez que vous y couriez de vous-mêmes et que vous les désiriez de votre propre mouvement. Si quelqu’un vous proposait de grandes sommes d’argent, il ne vous ferait aucune violence en vous invitant à les recevoir. Si donc vous ne croyez point que l’on vous force dans ces rencontres, combien le devez-vous moins croire lorsqu’on vous offre tous les biens du ciel ? Si la seule grandeur de ces biens inestimables qu’on vous propose ne vous attire par elle-même et ne vous entraîne à tâcher de les acquérir, vous êtes indignes de les recevoir ; et quand vous les auriez reçus, vous n’en comprendriez pas le prix. C’est pourquoi Jésus-Christ ne contraint ici personne. Il nous laisse à nous et il se contente de nous exhorter à nous y porter de nous-mêmes.
Comme les apôtres paraissaient surpris de cette parole, il semble que Jésus-Christ leur dise : Il n’est point nécessaire que vous vous troubliez de la sorte. Si vous ne croyez point que ce que je vous propose vous soit une source de biens et le plus grand bonheur qui puisse vous arriver, je ne vous y forcerai pas. Je ne prétends contraindre personne. Je n’appelle à moi que celui « qui me veut suivre. » Et ne croyez pas, mes disciples, que j’appelle « me suivre », ce que vous avez fait jusqu’ici en m’accompagnant dans mes voyages, il faudra que vous enduriez bien d’autres travaux, et que vous passiez par des afflictions bien plus sensibles, si vous êtes résolus de me suivre de la manière que je l’entends. Et vous, Pierre, qui venez de confesser que je suis le Fils de Dieu, ne prétendez pas que pour cette confession, vous deviez attendre la couronne de la gloire. Ne vous imaginez pas que ce soit assez pour le salut et que vous n’ayez plus qu’à vivre dans une pleine assurance comme ayant satisfait à tout. Je pourrais assez, étant le Fils de Dieu, vous empêcher de tomber dans ces malheurs, et prévenir par ma puissance tous les périls qui vous pourront arriver, mais je ne le veux pas faire à cause de vous-même et pour votre propre bien, afin que vous contribuiez de votre part à votre bonheur, et que vos souffrances redoublent un jour votre gloire. Si quelqu’un aimait un athlète, il ne voudrait pas qu’on le couronnât, seulement parce qu’il est son ami. Il veut qu’il travaille et qu’il mérite sa couronne ; et plus il l’aime, plus il désire qu’il s’efforce de s’en rendre digne. C’est ainsi que Jésus-Christ nous traite. Plus il chérit une âme, plus il veut qu’elle contribue pour sa part à son bonheur et à sa gloire. Il ne peut souffrir que sa grâce fasse tout en elle et qu’elle n’y réponde point par ses travaux.
Mais admirez comment il tâche de leur rendre moins odieux ce qu’il leur dit. Il ne l’adresse pas à eux seuls en particulier, mais il le propose comme une maxime générale pour tout le monde. « Si quelqu’un veut : » homme ou femme, roi ou sujet, « Si quelqu’un veut venir après moi », il faut que ce soit par cette voie. Il semble, mes frères, que Jésus-Christ ne dise qu’une seule chose, et il en dit trois. Il commande à l’homme de « se renoncer lui-même, de porter sa croix et de le suivre. » Ces deux premiers commandements, « se renoncer soi-même et porter sa croix », sont joints ensemble ; mais le dernier qu’il ajoute, « de le suivre », est proposé séparément.
Examinons d’abord ce que c’est que « se « renoncer soi-même. » Pour le bien comprendre, il faut voir ce que c’est que renoncer un autre homme. Celui qui renonce quelqu’un, frère, parent, domestique ou quelqu’autre que ce puisse être, a pour lui une haine irréconciliable. Quand il le verrait outragé, fouetté cruellement, ou chargé de rudes chaînes, il ne le secourrait pas ; il ne compatirait pas à ses maux et ne serait point touché de toutes ses peines, parce qu’il n’a pour lui qu’une extrême aversion et une haine mortelle. C’est ainsi que Jésus-Christ nous commande d’abandonner notre corps. Il veut que nous l’épargnions si peu que, quand on le déchirerait par les fouets, qu’on le tourmenterait sur les chevalets, qu’on le livrerait aux flammes, ou qu’on lui ferait souffrir quelque autre tourment semblable, nous soyons prêts à souffrir tout sans avoir compassion de ses maux. Car c’est proprement par cette cruauté apparente que nous avons pitié de lui.