Aller au contenu

Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 7, 1865.djvu/44

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

hennissent après les cavales ; que vous êtes avides et gourmands comme les ours ; que vous vous engraissez comme les mulets ; que vous êtes vindicatifs comme les chameaux ; ravisseurs comme les loups ; colères comme les serpents ; que vous piquez comme les scorpions ; que vous êtes déguisés comme les renards ; pleins de venin et de fureur comme l’aspic et la vipère ; et enfin lorsque vous êtes méchants comme le démon, et que vous vous plaisez comme lui à faire une guerre cruelle à vos frères : comment vous puis-je mettre au rang des hommes, puisque je ne vois point en vous les traits et les caractères de la nature des hommes ?
Je cherchais à discerner un chrétien d’avec un catéchumène, et je suis en peine maintenant de distinguer un homme d’avec une bête. Que dirai-je donc que vous êtes ? Vous mettrai-je au nombre des bêtes ? Les bêtes n’ont chacune qu’un vice qui leur est particulier ; mais vous les rassemblez tous en vous seul, et ainsi vous allez plus loin dans la déraison que les bêtes mêmes. Vous appellerai-je un démon ! Mais le démon n’est l’esclave ni de l’intempérance du manger ni des richesses. Si donc vous vous êtes mis au-dessous même des bêtes et des démons, comment vous appellerons-nous hommes, et si vous ne méritez pas d’être appelés hommes, comment vous appellerons-nous chrétiens ?
Mais ce qui est encore plus déplorable, c’est qu’étant dans un état si funeste, nous ne comprenons pas même quelle est la laideur et la difformité de notre âme. Lorsqu’on vous fait les cheveux, vous avez soin qu’un cheveu ne passe pas l’autre. Vous consultez le miroir, vous demandez l’avis de ceux qui sont présents, et du coiffeur même, pour voir si tout est bien ajusté, et tout vieux que vous êtes, vous ne rougissez point d’être encore aussi léger et aussi ardent dans ces folles passions que les jeunes gens. Et lorsque notre âme est non seulement défigurée, mais aussi difforme que les monstres des fables, aussi hideuse qu’une Scylla ou qu’une chimère, nous n’en avons pas le moindre souci ! Cependant l’âme a son miroir aussi bien que le corps, et un miroir beaucoup plus clair et plus avantageux. Il ne découvre pas seulement nos laideurs ; mais il nous montre encore la manière de les changer, si nous le voulons, en une rare beauté.
Ce miroir, mes frères, est le souvenir des Saints, l’histoire de leur bienheureuse vie ; la lecture de l’Écriture sainte, et la loi de Dieu. Si vous vous appliquez une fois à considérer l’image de ces saints hommes, vous reconnaîtrez aussitôt toutes les laideurs de votre âme, et quand vous les aurez reconnues, vous n’aurez besoin que de ce même miroir pour vous en pouvoir délivrer. Tant l’usage que nous en faisons est puissant, et tant il nous donne de facilité pour nous convertir !
Que personne donc ne demeure plus dans cet état de bête. Car si le serviteur n’a pas droit d’entrer dans la maison du père, comment celui qui est devenu bête, pourra-t-il seulement approcher de là porte ? Que dis-je celui qui est devenu bête ? Ces sortes de personnes sont pires que toutes les bêtes. Les bêtes, quoique naturellement farouches, s’apprivoisent par l’artifice dès hommes, mais vous qui les rendez douces de sauvages qu’elles étaient, comment pouvez-vous vous excuser, puisque vous vous dépouillez de la douceur qui vous était naturelle, pour vous revêtir de la cruauté des bêtes, après avoir forcé les bêtes à quitter leur cruauté naturelle, pour imiter la douceur des hommes ?
Vous apprivoisez le lion, et vous le rendez traitable ; et vous devenez vous-même plus furieux et plus intraitable que les lions. Cette bête a deux, grands obstacles pour être apprivoisée, l’un qu’elle n’a point de raison, et l’autre qu’elle est pleine de fureur. Cependant l’adresse que Dieu vous a donnée, fait que vous trouvez le moyen de l’adoucir, et de forcer la nature même. Comment donc vous, qui vous rendez maître de la nature dans les bêtes, trahissez-vous vous-même et votre nature et votre raison ? Si je vous donnais un autre homme à apprivoiser, je ne vous demanderais rien de fort difficile ; quoique vous pourriez me dire, que vous n’êtes pas maître de la volonté d’un autre, et que ce que je vous demanderais ne dépendrait point de vous. Mais ici je vous donne à apprivoiser votre naturel qui est en vous, et qui vous est assujetti.
9. Quelle excuse donc vous restera-t-il, quel spécieux prétexte aurez-vous à mettre en avant, vous qui forcez en quelque sorte un lion à devenir homme, pendant que vous ne vous mettez pas en peine de ce qu’étant homme, vous agissez en lion ? Vous donnez à l’un ce que la nature lui refuse, et vous vous ôtez