Aller au contenu

Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 7, 1865.djvu/454

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

s’ils sont au-dessus des forces de l’homme. Je vous déclare par avance que nous n’y trouverons rien de difficile, et que nous reconnaîtrons qu’on n’a de la peine qu’en faisant le mal.
Car, sans sortir de l’exemple dont le Prophète nous parle, qu’y a-t-il de plus pénible que de donner son argent à usure, et de se charger l’esprit des soins de le bien placer ; de chercher des assurances ; de se défier de celles qu’on nous a données ; d’avoir peur de perdre, tantôt la rente, tantôt le fonds, tantôt les cautions, tantôt les contrats ? car l’on est exposé à toutes ces pertes. Souvent, plus en croit avoir d’assurances, plus on est trompé ; et ce qui nous paraissait le moins à craindre, nous manque le plus il n’y a rien de semblable dans la pratique de l’aumône. Elle se fait toujours sans peine. Elle est exempte de toutes ces inquiétudes.
Ne trafiquons donc plus des misères de nos frères, et ne faisons point un commerce si infâme d’un argent dont nous nous devrions faire des amis. Je sais qu’il y en a parmi vous qui ne prennent pas plaisir à m’entendre, et qui ne peuvent souffrir que je leur parle si souvent du mépris de leurs richesses. Mais quel avantage retirez-vous de mon silence ? Quand je me tairais, et que, pour vous épargner, je cesserais de vous avertir de votre devoir, mon silence vous délivrera-t-il de l’enfer ? Vos peines, au contraire, ne s’augmenteront-elles pas par la liberté de vos crimes ? Et un si lâche silence ne m’engagera-t-il pas avec vous dans la même condamnation ? Que vous servirait donc ma fausse douceur et ma cruelle complaisance, puisqu’elle ne vous produirait aucun bien, et qu’elle rendrait vos maux encore pires qu’ils n’étaient. Quelle utilité retirerez-vous, si, vous flattant par des paroles qui vous plaisent, je vous jette en effet dans une éternelle douleur ? Si j’épargne vos oreilles au lieu d’épargner vos âmes, et si, pour plaire aux unes, je laisse périr les autres ? Ne vaut-il pas mieux vous causer ici un peu de peine, et vous causer une douleur passagère, qui vous délivrera d’un feu qui ne s’éteindra jamais ?
Car il ne faut point vous céler, mes frères, que l’Église est attaquée aujourd’hui d’une maladie bien dangereuse, et qui a besoin d’un puissant remède. Dieu défend aux chrétiens de s’amasser des richesses. Il condamne en eux cette avarice, quand ils ne s’enrichiraient que par des voies innocentes, et par de justes travaux, parce qu’il ne veut pas qu’ils se fassent un trésor sur la terre. Il leur commande au contraire d’ouvrir leurs maisons aux pauvres, et de leur faire part de leurs biens. Et cependant on voit qu’aujourd’hui ils s’enrichissent de la misère et de la pauvreté de leurs frères et qu’ils sont ravis d’avoir trouvé une sorte d’avarice qui leur paraît irréprochable, et qui est même couverte de quelque prétexte de bonté.
Et ne m’alléguez point ici les lois et les coutumes. Les publicains et les usuriers déclarés les gardent, et ils ne laissent pas d’être condamnés de Dieu. Ne doutons point donc que nous ne le soyons nous-mêmes, si nous ne cessons de tyranniser les pauvres, si nous augmentons leur pauvreté par nos usures, et si nous tirons un gain cruel de l’argent que nous leur prêtons pour satisfaire aux plus pressantes nécessités.
Dieu vous a donné des richesses, non pour appauvrir les autres, ni pour trafiquer de leurs misères, mais pour les en délivrer. Vous témoignez vouloir soulager leur pauvreté, et vous la rendez plus insupportable. Vous feignez de les consoler, et vous les jetez dans le désespoir. Vous voulez tirer un gain infâme de vos aumônes, et vous vendez le plaisir que vous leur faites. Vendez-le, je ne vous en empêche pas, mais que ce soit pour le royaume des cieux. Ne vous contentez plus d’un vil gain, d’un pour cent par mois, et ne prétendez pas moins qu’une vie qui ne finit point.
Pourquoi vous condamnez-vous vous-même à une si grande bassesse, et à un gain si méprisable ? Avez-vous l’âme assez basse pour abandonner de si grandes choses, afin de vous attacher à d’autres qui sont si petites, et pour vous contenter d’un peu d’argent, lorsque rien ne devrait vous contenter que le royaume de Dieu ? Pourquoi laissez-vous de côté les récompenses que Dieu vous offre pour en chercher de basses et de honteuses parmi les hommes ? Pourquoi quittez-vous Celui qui est infiniment riche, pour vous adresser à un pauvre qui n’a rien ? Pourquoi méprisez-vous Celui qui ne cherche qu’à répandre ses dons et ses grâces, pour mettre toute votre espérance dans un ingrat ? Vous ne confiez pas votre argent à celui qui pourrait tous le rendre avec une grosse usure, et vous l’abandonnez à celui