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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 7, 1865.djvu/455

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qui est même incapable de vous le rendre. L’un ne souhaite que de vous le restituer, et l’autre ne craint rien tant que d’être contraint de le faire. L’un ne peut qu’avec peine donner un pour cent, et l’autre vous offre cent pour un dans ce monde, et une vie éternelle dans l’autre. L’un ne vous rend ce qu’il vous doit qu’avec des murmures et des injures ; et l’autre vous le rendrait avec des louanges et des applaudissements. L’un tâche d’attirer sur vous la haine de tout le monde, et l’autre ne pense qu’à vous couronner un jour devant tout le monde. N’est-ce donc pas le comble de la folie de ne savoir pas même où l’on doit placer son argent, et où l’on doit chercher à gagner ? Combien a-t-on vu de personnes perdre leur fonds par le désir violent d’en tirer trop de revenu ? Combien en a-t-on vu d’autres courir une infinité de hasards, et s’exposer aux pièges que leur tendaient ceux qui enviaient leurs richesses ? Combien en a-t-on vu tomber dans la dernière pauvreté par l’insatiabilité de leur avarice ?
6. Ne me dites point pour vous excuser que ces pauvres se réjouissent, lorsque vous leur prêtez votre argent, et que même ils vous rendent grâce de votre usure. C’est votre cruauté qui les oblige de trouver cette triste joie dans ce qui les réduit à la dernière pauvreté. (Gen. 12,3) Lorsqu’Abraham livra sa propre femme entre les mains des barbares, il se prêta à l’accomplissement de leurs mauvais desseins, mais était-ce de bon gré, ou par la crainte de Pharaon ? C’est ainsi que le pauvre agit. Comme vous êtes assez dur pour ne lui pas donner gratuitement la somme dont il a besoin, il est contraint de rendre grâce à votre avarice, et de recevoir avec joie l’effet de votre cruauté. Vous ressemblez à un homme qui, en délivrant un autre d’un péril de mort imminent, exigerait de lui la récompense de ce service. Cette comparaison vous fait horreur et vous paraît injurieuse. Quoi donc, vous rougiriez d’exiger de l’argent d’un homme pour l’avoir tiré de ce péril, et vous ne rougissez pas d’en exiger si cruellement pour l’avoir assisté dans un besoin moins considérable ? Ne prévoyez-vous point déjà que le châtiment vous est réservé pour une telle conduite, et ne vous souvenez-vous point avec quelle sévérité ce crime était défendu dans l’ancienne loi ?
Mais quelle est l’excuse dont la plupart se couvrent ? Il est vrai, disent-ils, que je prête mon bien à usure, mais c’est pour assister les pauvres. Malheureux, que dites-vous ? Dieu rejette avec horreur ces détestables aumônes. Il ne veut point ces sacrifices sanglants. Ne faussez point la loi de Dieu. Il vaut mieux ne rien donner aux pauvres que de leur donner d’un bien si cruellement acquis. Vous faites même souvent qu’un argent qui n’avait été amassé que par de justes travaux, et par des voies très-innocentes, devient enfin un argent maudit de Dieu par vos usures illégitimes, et vous faites le même mal que si vous forciez un sein pur et chaste d’enfanter des scorpions et des vipères.
Mais pourquoi vous parler de la loi de Dieu ? N’avouez-vous pas vous-même que l’usure est une chose très-infâme ? Si vous, qui profitez de ces usures, ne les regardez néanmoins qu’avec horreur, jugez de quel œil Dieu les regarde. Que si vous consultez ceux qui ont établi les lois humaines, ils vous diront que l’usure a toujours été regardée comme la marque de la dernière impudence. Et c’est pour cette raison qu’il n’est jamais permis aux personnes constituées en : dignité, ni aux magistrats de se déshonorer par ces gains infâmes. C’est la loi, dites-vous, qui le leur défend. Tremblez donc de votre indifférence, lorsque vous avez moins de respect pour les lois de Dieu, que les magistrats n’en, put pour les lois civiles, et lorsque vous témoignez estimer moins les oracles du ciel, qu’ils n’estiment les arrêts du sénat de Rome.
Mais si je vous crois, me dites-vous, et que je place mon argent au ciel, il me profitera moins que placé sur la terre. Ne rougissez-vous pas d’autoriser ainsi l’injustice de vos usures ? Je l’appelle une injustice ; car y a-t-il rien de plus injuste que de semer sans terre, sans – pluie, sans charrue et sans semence ? Que recueillent aussi ceux qui sèment de la sorte, sinon une ivraie qui sera jetée dans le feu ? N’y a-t-il point d’autres voies justes et légitimes de gagner sa vie ? Ne peut-on pas cultiver les champs, nourrir des troupeaux, engraisser des bœufs, travailler des mains, et ménager son revenu ? N’Êtes-vous pas déraisonnable ? N’Êtes-vous pas insensé de passer toute votre vie à labourer et à semer des épines ?
Vous me répondrez peut-être que les fruits de la terre sont sujets à trop d’accidents, que