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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 7, 1865.djvu/485

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jusqu’à soixante-dix fois sept fois à celui qui témoignerait avoir regret de nous avoir offensé : et il ne commanderait pas ici qu’on employât tant de personnes pour tâcher de le faire rentrer en lui-même. Il ne nous ordonne rien de pareil à l’égard des païens et des infidèles qui sont hors de l’Église. Il se contente de nous dire : « Si quelqu’un vous frappe sur une joue, tendez-lui l’autre » ; sans nous commander ensuite de les aller avertir de leur injustice, comme il fait ici. Saint Paul dit la même chose. Car parlant des infidèles, il dit : « Pourquoi entreprendrai-je de juger ceux qui sont hors de l’Église » ? (1Co. 5,12) Mais il veut en même temps que nous agissions autrement à l’égard de nos frères : Il veut que nous leur représentions leur faute, afin qu’ils aient du regret de l’avoir faite. Il veut que nous les retranchions d’avec nous s’ils demeurent incorrigibles, afin que ce retranchement leur donna lieu de reconnaître enfin le mal qu’ils ont fait.

C’est ce que Jésus-Christ nous oblige ici de faire à l’égard de nos frères. Il établit comme trois maîtres et trois juges, pour faire comprendre à celui qui a fait l’outrage, dans quels excès il est tombé, lorsqu’il s’est laissé emporter et comme enivrer par sa passion. Après que la colère l’a porté à dire et à faire beaucoup de choses impertinentes et déraisonnables, Jésus-Christ veut qu’on l’en fasse ressouvenir : comme on raconte à ceux qui se sont enivrés les extravagances et les folies que les vapeurs du vin leur ont fait dire. La colère et le péché sont une ivresse très-véritable. Elles renversent la raison plus que le vin, et elles jettent l’âme dans des extravagances bien plus dangereuses.

Qui fut plus sage autrefois que le prophète David ? (2Sa. 12,1) Cependant il pécha, et il ne sut pas qu’il péchait. Sa passion enivra en quelque sorte toute sa raison, et remplit son âme comme d’une épaisse fumée. C’est pourquoi il eut besoin qu’un prophète vint éclairer ses ténèbres, et que la lumière de sa parole lui fît voir quel était le crime qu’il avait commis. C’est dans ce même dessein que Jésus-Christ oblige l’offensé d’aller trouver l’offenseur, afin de l’avertir des excès où il s’est laissé emporter.

2. Mais pourquoi veut-il que ce soit celui-là même qui a reçu l’offense, et non un autre qui s’aille plaindre à celui qui la lui a faite ? Il le fait parce que celui qui est coupable est plus disposé à recevoir avis de celui même qu’il a maltraité, principalement lorsqu’il le reprend seul et sans témoin. Rien n’est si capable de le toucher ni de le faire rentrer en lui-même, que de voir que celui qui semblerait ne devoir penser qu’à se venger de son injustice, ne se met en peine au contraire que de son salut. Vous voyez donc, mes frères, que tout ce que Jésus-Christ ordonne en cette occasion à celui qui a été offensé, ne tend qu’à sauver, et non à punir son frère. C’est pour ce sujet qu’il ne veut pas que d’abord il mène avec lui deux autres témoins, mais seulement après qu’il aura seul tenté inutilement de le guérir ; il ne veut pas non plus qu’après qu’il a été rebuté lorsqu’il était seul, il mène tout d’un coup avec lui un grand nombre de personnes, mais seulement une ou deux. Que s’il rejette encore, leurs remontrances, il ordonne alors qu’on en avertisse l’Église. C’est ainsi que Jésus-Christ nous apprend avec quelle sagesse nous devons éviter d’insulter au péché de notre frère.

Mais que veulent dire ces paroles : « Afin que tout ce que vous ferez soit autorisé par la présence de deux ou trois témoins », c’est-à-dire afin que vous ayez un suffisant témoignage que vous avez fait de votre côté tout ce que vous deviez faire, et que vous n’avez rien omis de ce qui était de votre devoir. « Que s’il ne les écoute point », dit Jésus-Christ, « dites-le à l’Église », c’est-à-dire à ceux qui la conduisent. « Et s’il n’écoute pas l’Église même, qu’il soit à votre égard comme un païen et un publicain (47) ». Car il sera évident que sa maladie est incurable. Considérez ici que Jésus-Christ propose partout les publicains comme les derniers des hommes. Nous avons déjà vu qu’il a dit : « Les pécheurs et les publicains ne sont-ils pas la même chose » (Mat. 5,45) Et ailleurs : « Les publicains et les femmes prostituées vous devanceront au royaume de Dieu (Mat. 21,31) » ; c’est-à-dire, les personnes les plus criminelles et les plus désespérées. Écoutez ceci, vous qui cherchez sans cesse à trafiquer de vos injustices et à ajouter tous les jours usure sur usure. D’où vient que Jésus-Christ met ici celui qui a fait violence à son frère au rang des publicains, c’est-à-dire des pécheurs désespérés, sinon pour adoucir d’un côté celui qui a souffert l’injustice, et pour épouvanter au contraire celui qui