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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 7, 1865.djvu/491

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l’argent, pour la gloire et pour le plaisir. Qui pourrait donc rapporter tous leurs excès, leur vie oisive, leurs entretiens extravagants, leurs railleries sanglantes, leurs paroles pleines d’infamie ? Je ne parle point de leur avarice. Qui peut dire qu’ils ne savent ce que c’est non plus que ces solitaires qui vivent sur les mon tagues, mais d’une manière bien différente. Car ceux-ci ne connaissent point l’avarice, parce qu’ils en sont très-éloignés ; et ceux-là ne la connaissent point, parce qu’ils en sont possédés et comme enivrés, et qu’ils boivent l’iniquité comme de l’eau. Car cette passion s’est tellement rendue la maîtresse de leur esprit et de leur cœur, que ne sachant pas seulement ce que c’est que la vertu qui lui est opposée, ils sont comme des frénétiques qui prennent la maladie pour la santé.
Mais quittons ces hommes de sang et de désordres. Passons à d’autres qui ne sont pas si violents. Examinons la vie des artisans, qui sont ceux d’entre tous les hommes qui semblent gagner plus justement leur vie par leur peine et par leur travail. Cependant, s’ils ne prennent bien garde à eux, ils tombent aisément en beaucoup de dérèglements. Souvent ils ternissent toute la gloire de leurs plus justes travaux, en jurant et se parjurant sans scrupule, et en se servant de mensonge et de tromperie pour satisfaire leur avarice. Ils ont l’esprit tout possédé du désir du gain. Ils ne pensent qu’à la terre, et sont tout occupés de leur commerce, dans lequel ils n’ont point d’autre but que d’amasser de l’argent. Ils n’ont aucun soin des pauvres, et ils ne pensent jamais à leur faire part de ce qu’ils gagnent par leur travail, parce qu’ils sont toujours dans l’ardeur d’augmenter le bien qu’ils ont. Ils ont des envies cruelles les uns contre les autres. Ils se déchirent par des injures atroces, et ils ne craignent point de mêler à leur trafic, l’usure, l’injustice et la tromperie.
3. Passons à d’autres qui paraissent un peu plus justes. Ce sont les riches qui possèdent de grandes terres, et qui en tirent de grands revenus. Qu’y a-t-il de plus injuste qu’eux?’ Comment traitent-ils leurs fermiers et les pauvres gens de la campagne ? Des barbares leur seraient, moins rudes qu’ils ne leur sont. Ils imposent des travaux insupportables, et des charges excessives à des misérables qui meurent de faim, et qui passent toute leur vie dans un accablement qui ne cesse point. Ils les tourmentent tous les jours par de nouvelles exactions. Ils les obligent à des ouvrages pénibles qui sont au-delà de leurs forces. Ils les traitent comme des bêles, et plus cruellement que des bêtes. Ils abusent de leurs corps comme s’ils avaient un corps de pierre et non pas de chair. Ils ne leur permettent pas de respirer. Ils ne s’informent point de la stérilité de l’année. Que la terre ait produit ou n’ait rien produit, tout leur est égal. Ils ne remettent rien de leurs vexations ordinaires, et ils ne font pas la moindre grâce.
Aussi voit-on rien de plus malheureux, et qui fasse plus de compassion que ces pauvres gens ? Après avoir souffert également de la rigueur de l’hiver et de l’été ; après avoir essuyé tous les froids et toutes les pluies de l’année et s’être épuisés par leurs veilles continuelles ; non seulement ils se trouvent les mains vides, mais ils se voient encore accablés de dettes. Outre les maux qu’ils souffrent, et cette faim extrême qu’ils endurent, ils craignent encore la violence des exacteurs, la tyrannie des collecteurs, les emprisonnements et mille autres maux dont on les accable, sans que personne leur fasse justice.
Combien la nécessité où ils sont leur fait-elle chercher d’adresses et d’inventions pour gagner, sans qu’ils en tirent enfin aucun avantage ? Ils se tuent pour remplir de vin les celliers des autres, et ils n’en rapportent rien chez eux. Tout ce que la vigne qu’ils ont cultivée peut produire, passe à d’autres mains, et si on leur donne un peu d’argent, on les croit bien récompensés de leur peine. Ils ont affaire à des avares et à des usuriers qui les traitent d’une manière que les lois des païens n’auraient : pas soufferte et pour laquelle on ne peut avoir trop d’horreur. Ils leur donnent de l’argent à prêt, non pas selon l’ordinaire à un pour cent, mais ils exigent chaque année la moitié de toute la somme. Et ils traitent avec cette dureté des gens qui ont une femme et des enfants, et qui passent toute leur vie au service de ceux même qui les tyrannisent de cette sorte. N’est-ce pas ici qu’il faut dire avec le Prophète : « O ciel ! tremblez, soyez saisi d’étonnement, et vous, terre, frémissez d’horreur (Is. 1) », parce que les hommes sont devenus pires que les bêtes les plus farouches.
Quand je parle ainsi, mes frères, je n’accuse ni les arts, ni l’agriculture, ni la profession des armes, ni la possession des terres. C’est