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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 7, 1865.djvu/493

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qui tombez dans des excès semblables par votre avarice. Car, s’il n’est pas permis de traiter ainsi nos frères lorsqu’ils nous offensent, combien l’est-il moins lorsqu’ils ne nous sont redevables que de quelque argent ? « Cet homme se jetant à ses pieds, le conjurait en lui disant : Ayez un peu de patience et je vous rendrai tout (29) ». Il n’eut pas même de respect pour les paroles dont il venait de se servir pour obtenir miséricorde, et qui lui avaient mérité la remise de dix mille talents. Il ne reconnut plus ce port bienheureux où il s’était sauvé lui-même et cette même prière dont il venait d’user ne rappela point à sa mémoire la grande bonté de son maître. Sa cruauté et son avarice effacèrent tout de son esprit, et il se jette comme une bête farouche sur cet homme qui était son compagnon. Barbare, que faites-vous ? Né voyez-vous pas combien vous allez irriter contre vous votre maître, que vous allez vous attirer sa colère, et que vous le forcez de révoquer malgré lui l’arrêt de grâce qu’il vient de vous prononcer ? Mais cette âme dure et impitoyable n’a point ces pensées. Il ne se souvient plus d’un état dont il ne fait que de sortir, et il ne remet rien à son frère de ce qu’il lui doit.
Cependant, mes frères, c’est la même prière que font ces deux hommes, mais pour deux choses bien différentes. L’un ne prie que pour cent deniers, et l’autre pour dix mille talents. L’un ne prie qu’un autre-serviteur comme lui, et l’autre prie son propre maître. L’un a reçu la remise de toutes ses dettes, l’autre ne demande qu’un peu de délai, et il ne l’obtient pas. « Car il le jeta en prison jusqu’à ce qu’il lui rendît ce qu’il lui devait (30)». Les autres serviteurs « ses compagnons voyant ce qui se passait, en furent extrêmement fâchés, et vinrent avertir de tout leur commun maître(31)». Si une action si noire offensa les hommes, et leur parut insupportable, jugez ce qu’elle put paraître à Dieu ; et si les serviteurs en témoignèrent une si grande compassion, jugez de ce qu’en put ressentir leur maître. « C’est pourquoi l’ayant fait venir, il lui dit : Méchant serviteur, je vous avais remis tout ce que vous me deviez parce que vous m’en aviez prié (32). Ne tallait-il donc pas que vous, eussiez aussi pitié de votre compagnon, comme j’avais eu pitié de vous (33) » ? Admirez encore, mes frères, la grande douceur de ce maître. Il agit en juge contre ce serviteur ingrat et il semble qu’il rende raison de son jugement et de la rétractation qu’il fait de son don ; si l’on n’aime mieux dire que ce n’est point lui qui cassa son arrêt de grâce, mais que ce fut ce serviteur qui le révoqua. « Méchant serviteur », lui dit-il, « je vous avais remis tout ce que vous me deviez, parce que vous m’en aviez prié : ne fallait-il donc pas que vous eussiez aussi pitié de votre compagnon comme j’avais eu pitié de vous » ? Si vous aviez quelque peine à remettre cette dette, ne deviez-vous pas considérer la grâce que je venais de vous faire, et ce que vous deviez encore attendre de moi dans la suite ? Si ce commandement vous paraissait sévère, l’espérance de ce que je vous promets aurait dû vous l’adoucir. Vous considérez que votre frère vous a offensé, et vous ne considérez pas combien vous avez vous-même offensé Dieu, et que néanmoins il vous accorde votre grâce, seulement parce que vous l’en avez prié. Si vous avez tant de peine à vous réconcilier avec un homme qui vous a fait tort, combien en auriez-vous plus de souffrir le feu de l’enfer ? Comparez la première peine avec la seconde, et vous trouverez l’une très-légère en voyant le poids insupportable de l’autre. Vous devez dix mille talents à votre maître, et cependant, bien loin de vous traiter avec dureté ; il n’a que de la compassion pour vous, et vous traitez aussitôt après avec une cruauté si barbare celui qui ne vous doit que cent deniers ? N’est-ce donc pas avec raison qu’il vous appelle « méchant serviteur » ?
Écoutez, hommes sans entrailles, hommes cruels ; sachez que ce n’est pas pour les autres, mais pour vous-mêmes, que vous êtes cruels ; ces ressentiments haineux que vous gardez si longtemps, vous les gardez plus encore à votre détriment qu’au détriment de vos frères ; c’est le faisceau de vos propres péchés et non des péchés du prochain que vous formez et liez si laborieusement ; lorsque vous tourmentez les autres, le mal que vous leur faites est passager comme vous-mêmes, et il passera bientôt ; mais dans l’autre vie, Dieu vous punira par des supplices quille finiront jamais. « Son maître, ému de colère, le livra entre les mains des bourreaux jusqu’à ce qu’il payât tout ce qui lui était dû (34) ». Cela veut dire ; mes frères, qu’il le livra à des supplices sans fin, puisqu’il ne devait jamais acquitter sa dette. Après qu’une libéralité si extrême n’a pu toucher cet ingrat, que restait-il autre chose que de faire succéder