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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 7, 1865.djvu/494

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la sévérité à la douceur ? Et quoique « les dons « et les grâces de Dieu soient », comme dit saint Paul, « sans repentir », et qu’il ne les rétracte jamais, néanmoins la malice a tant de force, qu’elle contraint Dieu de se faire violence à lui-même, et de violer cette loi de sa bonté. Qu’y a-t-il, donc de plus dangereux que le souvenir des injures et le désir de s’en venger, puisqu’il est capable de détruire en nous ce que la grâce de Dieu nous avait donné ? L’Évangile marque qu’il livra ce serviteur aux bourreaux, non pas indifféremment, mais « ému de colère ». Lorsqu’un peu auparavant il avait commandé qu’on le vendît, il n’avait témoigné aucune colère dans ses paroles, qu’il n’accomplit pas non plus ensuite, parce qu’il ne les avait dites que pour donner une ouverture favorable à sa bonté ; mais ce dernier arrêt qu’il donne n’est plus accompagné de douceur comme le premier ; et on n’y voit que colère, que rigueur, que vengeance. Jésus-Christ nous marque ensuite quel est le but de cette parabole, lorsqu’il dit : « C’est ainsi que vous traitera mon Père qui est dans le ciel, si chacun devons ne remet à son frère du fond du cœur les fautes qu’il aura commises contre lui (35) ». Il ne dit pas : C’est ainsi que vous traitera « votre » Père, mais « mon » Père, parce que des âmes si dures et si peu charitables sont indignes d’être appelées les enfants de Dieu. On voit par cette parabole que Jésus-Christ nous commande deux choses : l’une, que nous nous accusions nous-mêmes de nos péchés, et l’autre, que nous pardonnions sincèrement ceux de nos frères. Que si nous sommes fidèles au premier de ces commandements, nous nous acquitterons aisément du second. Car celui qui rappelle dans sa mémoire les dérèglements de sa vie, pardonnera aisément à ses frères, non seulement de bouche, mais « du fond du cœur ».
5. Rendons-nous, mes frères, à ce commandement de Jésus-Christ. Ne nous haïssons pas nous-mêmes, et ne tournons point contre nous-mêmes le fer dont nous croyons percer les autres. Quel mal vous peut faire votre ennemi, qui soit comparable à celui que vous vous faites vous-même, puisque l’aigreur que vous avez contre lui attire sur vous la condamnation de votre juge ? Si vous lui opposez une sagesse et une modération vraiment chrétienne, vous demeurerez invulnérable à ses traits, et vous ferez retomber sur lui le qu’il vous fait. Mais si vous vous abandonnez à l’indignation et à la colère, vous serez blessé non par l’injure qu’il vous a faite, mais parle ressentiment que vous en avez. Ne dites donc point : Il m’a outragé, il m’a déchiré par ses calomnies, il m’a fait souffrir mille maux. Plus vous direz qu’il vous aura fait de mal, plus vous trouverez qu’il vous aura fait de bien ; puisqu’il vous aura donné lieu de vous purifier de vos péchés qui sont les plus grands de tous les maux. Ainsi, plus il vous offensera, plus il vous mettra en état d’obtenir de Dieu qu’il vous pardonne toutes vos offenses.
Car si nous voulons nous servir des avantages que la foi nous donne, nul homme ne nous pourra nuire. Nous tirerons les plus grands avantages pour notre salut, de la fureur même de nos plus grands ennemis. Et qui s’étonnera que la haine des hommes nous soit si utile, puisque la rage même des démons nous est souvent avantageuse, comme on le voit dans l’exemple du saint homme Job ? Que si cet esprit de malice nous sert en nous haïssant, pourquoi craindrez-vous la haine d’un homme ? Considérez combien vous retirez d’avantage d’une injure soufferte humblement et avec douceur. Vous méritez par là : premièrement, que Dieu vous remette vos péchés ; ce que je regarde comme le plus grand de tous les biens. Vous vous exercez en second lieu dans la patience, et dans une vertu mâle et généreuse. En troisième lieu, vous vous fortifiez dans la douceur et dans la charité que vous devez avoir, pour vos frères, puisque celui qui est incapable de se fâcher contre ses ennemis, sera bien moins en état de manquer de charité envers ceux qui l’aiment. De plus, vous travaillez ainsi à déraciner entièrement la colère de votre cœur : ce qui est le plus grand de tous les biens. Car celui qui bannit la colère de son âme en bannira aussi la tristesse, et il se délivrera de tous ces chagrins et de ces vaines inquiétudes, qui sont les tourments ordinaires de la vie. Le cœur doux et incapable de haine, est toujours paisible, et il jouit d’une joie et d’un plaisir qui ne le quittent jamais. Ainsi, en haïssant nos ennemis nous nous punissons nous-mêmes, et en les aimant nous nous aimons.
D’ailleurs, la grâce que Dieu vous fera en vous inspirant cette douceur, vous rendra vénérables à vos ennemis mêmes, quand ce