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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 7, 1865.djvu/504

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tyrannie que les richesses exercent sur les hommes est étrange, mes frères, et cet exemple en est une grande preuve : quelque vertu que nous possédions d’ailleurs, cette seule passion les ruine toutes, et c’est avec grande raison que saint Paul l’appelle « la racine de tous les vices ». (1Tim. 6,10) Mais pourquoi Jésus-Christ répond-il ceci à ce jeune homme ? « Jésus lui répondit : Pourquoi m’appelez-vous bon ? Il n’y a que Dieu seul qui soit bon (17) ». Comme ce jeune homme ne regardait Jésus-Christ que comme un pur homme et comme un des docteurs ordinaires d’entre les Juifs, Jésus voulait aussi lui répondre comme s’il n’eût été en effet qu’un simple homme. C’est ainsi que nous voyons souvent qu’il proportionne ses réponses à la disposition de ceux qui l’interrogent, comme lorsqu’il dit : « Nous adorons ce que nous connaissons ». Et ailleurs : « Si je me rends témoignage à moi-même, mon témoignage n’est pas vrai ». (Jn. 3) Lors donc qu’il dit : « Il n’y a que Dieu seul qui soit bon », il n’entend pas dire qu’il ne soit bon lui-même. Dieu nous garde de cette pensée. Il ne dit point : « Pourquoi m’appelez-vous bon » ? je ne le suis pas, mais « il n’y a que Dieu seul qui soit bon » (Mt. 7,11), c’est-à-dire, il n’y a personne entre les hommes qui soit bon. Ce qu’il ne dit pas néanmoins pour assurer qu’il n’y a personne de bon entre les hommes, mais seulement pour faire voir que la bonté qu’ils ont est bien différente de celle de Dieu. Il dit : « il n’y a que Dieu seul qui soit bon », et non pas : Il n’y a que mon Père seul qui soit bon, pour marquer qu’il ne découvrait pas à ce jeune homme qui il était. C’est ainsi que le Sauveur dit ailleurs : « Quoi que vous soyez mauvais, vous savez bien néanmoins donner de bonnes choses à vos enfants ». Il les appelle « mauvais » aussi bien qu’ici, sans avoir dessein de condamner généralement toute la nature des hommes en elle-même, puisqu’il dit : « Quoique vous soyez mauvais » ; et non pas : quoique tous les hommes soient mauvais ; ne les appelant mauvais qu’en les comparant avec la bonté de Dieu ; comme on le voit par ce qu’il ajoute « A combien plus forte raison votre Père qui est dans le ciel donnera-t-il de vrais biens à ceux qui lui en demandent » ? Vous me demanderez peut-être pourquoi Jésus-Christ parle avec tant de force à ce jeune homme, et quel avantage il voulait qu’il retirât de sa réponse ? Il voulait premièrement l’élever peu à peu jusqu’à la connaissance de Dieu. Il voulait lui apprendre à ne point mêler de flatteries dans ses paroles, et le détacher insensiblement de la terre pour l’attacher à Dieu seul. Il lui persuade de ne désirer que les biens à venir, et de connaître celui qui étant véritablement bon, est l’unique source de tous les biens, afin qu’il lui rende la gloire qui lui est due. C’est ainsi que, lorsqu’il commandait à ses apôtres de n’appeler personne « maître sur la terre (Mt. 23,9) », il voulait leur apprendre à faire quelque discernement de lui d’avec tous les hommes, et à connaître qu’il était l’origine et le principe de toutes choses.
Il faut remarquer, mes frères, que ce jeune homme en venant à Jésus-Christ témoignait une disposition assez extraordinaire en ce temps-là. Tous ceux qui s’approchaient alors du Sauveur y venaient ou pour le tenter, ou pour obtenir de lui la guérison de leurs maladies, ou de quelques-uns de leurs proches. Ce jeune homme au contraire y vient dans un dessein plus louable, et dans le désir seul en apparence d’acquérir la vie éternelle. Il ressemblait à une excellente terre très-fertile en elle-même, mais toute couverte d’épines et de ronces, qui étaient prêtes à étouffer cette semence précieuse que Jésus-Christ y devait répandre il témoigne son obéissance, en disant : « Quel bien faut-il que je fasse pour acquérir la vie éternelle » ? Tant il était préparé pour obéir à tout ce que le Fils de Dieu lui commanderait. S’il se fût adressé à Jésus-Christ avec duplicité de cœur et pour le tenter, l’Évangéliste n’eût pas oublié de le dire, comme il le marque de ce docteur de la loi. Et si l’Évangéliste n’en eût rien dit, Jésus-Christ n’eût pas manqué de le faire, ou en le reprenant, ou en le marquant obscurément, afin qu’il ne s’imaginât pas avoir pu tromper celui à qui il pariait, ce qui eût causé sa perte.
De plus, s’il ne se fût adressé au Sauveur que pour le tenter, la réponse de Jésus-Christ ne lui eût point causé cette profonde tristesse avec laquelle il s’en retourna. Nous ne voyons point dans l’Évangile que les pharisiens se retirent ainsi tristes d’auprès de Jésus-Christ, mais seulement dans la rage et dans la fureur d’avoir été confondus. Celui-ci au contraire s’en retourne tout abattu de tristesse. Ce qui montre assez qu’il n’était pas venu lui parler