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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 7, 1865.djvu/508

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conduisent par de longs tourments dans ceux de l’enfer, et ils rendent mal-heureux et en ce monde et en l’autre. Car l’avarice est la source de tous les maux. Elle ruine les familles ; elle remplit le monde de divisions et de guerres ; et elle porte les hommes jusqu’à se tuer eux-mêmes. Mais avant que de les jeter dans ces dernières extrémités, elle perd insensiblement les âmes et les jette dans un honteux abaissement. Elle étouffe toute la générosité qui leur est naturelle, et elle rend ceux qu’elle possède timides, lâches, fourbes, menteurs, voleurs, médisants et esclaves de tous les vices.
Mais peut-être que vous voyant extrêmement riche, vous vous laissez éblouir par cet éclat de l’or, par cette magnificence de bâtiments, par ce grand nombre d’officiers et de domestiques, par cette déférence que tout le monde vous rend, et par cet empressement que tous les hommes ont de vous voir. Quel est donc le remède que nous pouvons apporter à une plaie si profonde ? C’est, mes frères, de vous représenter à quelle langueur l’avarice réduit votre âme, quel aveuglement elle y répand, de quelles ténèbres elle la couvre, dans quelle solitude elle la laisse, dans quelle confusion elle la jette. C’est de vous souvenir par combien de maux on acquiert ce peu de bien, par combien de travaux on la garde ; avec combien de périls on en jouit ; si l’on peut dire néanmoins qu’on en jouisse et qu’on le conserve ; puisque quand on éviterait tous les accidents de la vie, la mort enfin nous arrache toutes ces richesses pour les faire passer souvent dans les mains de nos plus grands ennemis. Elle nous ôte tout ce que nous avions, et nous jette dans des lieux où nous ne serons plus suivis de cette foule de domestiques ; où nous ne verrons plus rien de toutes ces magnificences qui nous environnent ici-bas ; et il ne restera rien à notre âme de tous ces faux biens, que les plaies profondes qu’elle se sera faites pour acquérir ce qui la devait perdre.
Lors donc que vous voyez un homme, riche habillé magnifiquement, et accompagné d’un grand, nombre d’officiers et de gardes ; passez de cette apparence jusque dans son cœur, et dans le fond de sa conscience, et vous la trouverez toute corrompue aux yeux de Dieu, et toute remplie de boue et d’ordure. Souvenez-vous de saint Paul et de saint Pierre ; souvenez-vous de saint Jean-Baptiste et du prophète Élie ; ou plutôt du Fils de Dieu même, qui n’avait pas où reposer sa tête. Imitez ce divin modèle, imitez ceux qui ont été ses plus fidèles imitateurs. Admirez en vous-mêmes ces trésors ineffables, renfermés dans ces saints hommes.
Si vous êtes frappé d’abord de cet éclat apparent des hommes du monde, et si votre foi en est un peu troublée, écoutez cette parole effrayante de Jésus-Christ, « qu’il est impossible qu’un riche entre dans le royaume des cieux ». Comparez si vous voulez avec la perte du ciel, des montagnes d’or et d’argent, une terre d’or, une mer et tout un monde d’or. Tout cela ne vous rend point ce que vous perdez.
Contentez tant que vous voudrez votre avarice. Ajoutez terre à terre, maisons à maisons. Si ce n’est assez de vingt, ayez en cent. Ayez mille valets et deux mille si vous voulez, ayez des lits, des chambres et des maisons toutes revêtues d’or et d’argent : si cela ne vous satisfait pas encore, ajoutez-y tout le monde même : ayez si vous voulez autant de serviteurs qu’il y a d’hommes sur la terre ; rendez-vous maître de la terre et de la mer, que tous les peuples vous soient soumis ; que toutes les villes soient sous votre obéissance, que tous les fleuves et que, toutes les rivières coulent pour vous ; après tout, cela, je vous dirai que vous êtes le plus pauvre et le plus misérable de tous les hommes, si vous ayez amassé tous ces biens pour perdre le ciel. Car si les amateurs des richesses passagères sont si tourmentés lorsqu’ils ne peuvent acquérir ce qu’ils désirent ; combien le seraient-ils davantage, s’ils pavaient ce qu’ils perdent en perdait les biens éternels ?
Ne dites donc plus que ces grands du monde sont heureux parce qu’ils sont dans l’abondance de toutes choses. Mais dites plutôt qu’ils sont bien misérables de changer le ciel contre un peu de terre et de boue : et qu’ils sont semblables à un roi qui, ayant changé son royaume contre un fumier, ferait gloire de cet échange, comme si ce fumier valait mieux que sa couronne. Et il y a certes peu de différence entre un amas d’or et d’argent, et un amas de boue qui est sur un fumier ; ou plutôt ce dernier est en quelque sorte préférable à l’autre. Car le fumier au moins est utile. Étant mis sur la terre, il la rend fertile : mais à quoi sert l’or caché sous la terre ? Il est entièrement inutile, et, plût à Dieu qu’il ne fût qu’inutile.