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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 7, 1865.djvu/546

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mettent les genoux en terre, ils prient Dieu à qui ils viennent d’offrir leurs hymnes, et lui demandent des grâces qui ne viennent pas même dans la pensée des gens du monde. Car ils ne lui demandent jamais rien de tout ce qui périt ici-bas ; ils en ont trop de mépris pour en faire le sujet de leurs prières. Ils prient Dieu dans leurs oraisons ferventes, de leur faire la grâce de paraître un jour avec une sainte confiance devant son tribunal terrible, lorsqu’il jugera les vivants et les morts ; et ils le conjurent que personne d’entre eux n’entende cette parole foudroyante : « Je ne vous connais point ». Ils lui demandent la grâce de passer cette vie pénible avec une conscience pure et dans la pratique des bonnes œuvres, et d’être assistés de son esprit parmi les tempêtes auxquelles elle est exposée. Leur père et l’abbé qui les gouverne président à cette oraison ; et, se levant ensuite après ces saintes prières, ils vont, lorsque le soleil commence à paraître, chacun à son ouvrage particulier, d’où ils retirent de grandes sommes d’argent pour la nourriture des pauvres.
4. Que diront ici ceux qui passent leur vie à entendre des vers infâmes et à voir des spectacles diaboliques ? Je rougis de vous parler de ces choses, mais votre faiblesse me réduit à cette fâcheuse nécessité. C’est ainsi que saint Paul disait aux fidèles : « Comme vous avez fait servir les membres de votre corps à l’impureté et à l’injustice, faites-les maintenant servir à la piété et à la justice pour mener une vie sainte ». (Rom. 6,19) Comparons donc ensemble deux choses entièrement dissemblables. Une troupe de femmes prostituées et de jeunes hommes corrompus qui paraissent sur un théâtre avec cette assemblée si sainte de ces bienheureux solitaires. Et puisque les hommes du monde ne cherchent au théâtre que plaisir, voyons s’ils y en trouvent davantage que ces solitaires dans leurs déserts. Pour moi, je vous avoue que, jetant les yeux sur ces deux troupes, il me semble que j’entends d’un côté un concert d’anges qui font de la terre un paradis, et que je vois de l’autre une multitude de pourceaux qui crient confusément et qui se roulent dans la boue.
Jésus-Christ parle par la bouche des uns, et le démon par celle des autres. Ceux-ci soutiennent leurs voix impures par le bruit des hautbois et des instruments de musique : niais les autres sont soutenus par la grâce du Saint-Esprit, qui se sert de leur langue pour faire une harmonie plus douce que celle des hampes et des luths. Le plaisir dont ils jouissent dans ces concerts sacrés est st pur et si divin, qu’il n’est pas possible de le faire concevoir à des personnes toutes plongées dans la fange. Je souhaiterais de tout mon cœur de faire voir à quelqu’un de ces jeunes gens si corrompus la troupe de ces saints solitaires. Je n’aurais pas besoin de lui parler davantage. Néanmoins, quoique je parle à des personnes noyées dans le vice, il faut faire quelque effort pour les tirer de cet abîme et les élever au-dessus d’eux-mêmes. Voyons donc ce qui se passe dans ce théâtre, et nous trouverons qu’il semble que ces gens aient été ingénieux pour inventer tout ce qui pouvait les perdre sans ressource. Comme si ces femmes impudiques n’étaient pas assez capables de les corrompre par leur seule venue, ils ont voulu qu’elles y mêlassent encore leur voix. Ainsi, le chant de ces malheureuses allume les passions les plus criminelles, et celui de ces saints solitaires a une vertu admirable pour les éteindre.
Après la vue et la voix, il y a encore un troisième piége, qui est la magnificence des habits. Et comme elle plaît d’une part aux yeux impudiques, elle blesse de l’autre les yeux des pauvres qui voient cette pompe avec indignation. Et s’il se trouve parmi les spectateurs un homme pauvre, qui vive dans l’obscurité et dans le mépris, il dit en lui-même : Des femmes perdues et des hommes infâmes, des fils de palefreniers et peut-être même des fils d’esclaves, paraissent ici avec un air et une magnificence de princes, et nous, qui sommes nés libres, de parents libres, et qui subsistons par un honnête travail, nous ne paraissons rien au prix de ces malheureux. Ainsi ils s’en vont tout tristes et tout confus.
La vue de ces saints solitaires ne fait point cette impression sur les hommes, et elle en fait plutôt une toute contraire. Car lorsqu’on y voit les enfants des personnes les plus riches et les plus illustres, porter des habits que le dernier des pauvres dédaignerait de regarder, et trouver sa joie et sa satisfaction dans cette pauvreté extrême, les pauvres y apprennent à se consoler dans tous leurs besoins, et les riches à être plus retenus et plus modérés dans leurs richesses.
Quand ces femmes impudiques paraissent sur le théâtre avec tant d’éclat, ces pauvres