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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 9, 1866.djvu/208

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des autres, que ces choses réclamaient la sentence du juge. Aussi celui-ci ne dit pas : Je le défends, de crainte qu’ils ne commissent de nouvelles violences ; mais « je ne veux pas. Je ne veux pas », dit-il, « en être juge », tant il avait de réserve. C’est ce que Pilate disait à propos du Christ : « Prenez-le, et jugez-le selon votre loi ». (Jn. 18,34) Le proconsul aussi voulait qu’ils jugeassent suivant la loi ; mais les Juifs se conduisirent comme des fous ou des gens ivres. Paul vint donc d’Athènes à Corinthe, parce que dans cette dernière ville, Dieu y avait un grand peuple. On le frappa et il garda le silence.
3. Cherchons à l’imiter et ne frappons ceux qui nous frappent que par notre douceur, notre silence, notre patience. Ce sont là les armes les plus puissantes, celles qui font des blessures plus graves et plus pénibles, car les plaies de l’âme sont plus douloureuses que celles du corps. Souvent nous sommes obligés de blesser nos amis ; mais, comme c’est dans leur intérêt, ils doivent s’en réjouir. Au contraire, si vous avez une intention offensante, vous frappez le cœur, et vous causez la plus grande douleur possible, car c’est là que les blessures sont cruelles. Nous allons maintenant faire tous nos efforts pour démontrer que la douceur frappe plus que la rudesse. Cela se reconnaît clairement par les faits et l’expérience. Cependant, si vous le permettez, nous allons en faire la démonstration par le raisonnement, quoique nous l’ayons déjà faite plusieurs fois.
Quand nous recevons une injure, rien ne nous afflige plus que le jugement de ceux qui en sont témoins ; en effet, ce n’est pas la même chose d’être injurié en public ou en particulier, et nous supportons bien plutôt l’injure quand elle est secrète, quand personne n’en a été témoin et ne la connaît. Ce n’est donc pas tant l’injure elle-même qui nous afflige que sa publicité : au point que si quel qu’un nous honorait, en public et nous injuriait en particulier, nous lui en saurions gré. C’est que l’outrage n’est pas par lui-même ce qui cause notre douleur, c’est le jugement des assistants et la crainte de leur mépris : Que sera-ce donc, si les spectateurs sont pour nous ? L’insulteur ne devient-il pas alors l’insulté, puisque les témoins jugent en, notre faveur ? Dites-moi, en effet, qui méprisent-ils ? Celui qui lance l’outrage, ou celui qui le subit en silence ? Un mouvement irréfléchi nous porterait à dédaigner celui qui reçoit l’injure ; mais examinons froidement pour ne pas nous laisser entraîner par la passion : alors, qui condamnerons-nous d’un commun accord ? Assurément celui qui fait injure à l’autre, s’il est son inférieur, nous dirons qu’il est fou ; s’il est son égal, nous dirons qu’il ne réfléchit pas ; s’il lui est supérieur, nous ne l’approuverons pas davantage. Lequel, dites-moi, mérite nos éloges, celui qui se trouble, s’agite, s’emporte et méconnaît ainsi notre commune nature, ou bien celui qui reste tranquille et sans orage dans le port de la sagesse ? Celui-là ne ressemble-t-il pas à un ange, et le premier ressemble-t-il même à un homme ? L’un ne supporte pas ses chagrins, l’autre supporte même ceux d’autrui ; l’un ne peut se souffrir lui-même, l’autre souffre encore son prochain ;-l’un est ballotté par la tempête, l’autre navigue en paix, et son navire est poussé par des vents favorables. Il n’a pas permis à l’ouragan de la colère de gonfler ses voiles et de submerger le vaisseau de son âme ; mais un zéphyr bienveillant le conduit avec douceur dans le port de la sagesse. De même que, dans un navire menacé du naufrage, les matelots ne savent ce qu’ils jettent à la mer, si ce sont leurs effets ou ceux qu’ils ont reçus en dépôt, et qu’ils perdent tout, ce qui est précieux comme ce qui ne l’est pas, mais, qu’une fois la tempête apaisée, en réfléchissant à tout ce qu’ils ont ainsi jeté, ils se mettent à pleurer, et que le chagrin de leurs pertes les empêche de jouir du beau temps ; de même aussi, ceux chez qui se déchaîne l’orage de la fureur parlent et agissent en désordre' et sans savoir pourquoi ; mais, quand leur colère s’est calmée, ils réfléchissent à leur emportement, ils songent à ce qu’ils ont perdu et ne jouissent pas du calme qui leur est rendu, parce qu’ils se souviennent d’avoir lancé des paroles qui les déshonorent et leur ont fait subir une perte plus grande que celle de leurs richesses, la plus grande de toutes, celle de la considération qui s’attache à la justice et à la douceur.
La colère nous couvre de véritables ténèbres. « L’insensé a dit dans son cœur : il n’a pas de Dieu ». (Ps. 13,1) Peut-être ce mot serait-il juste aussi pour l’homme en colère, et pourrait-on ajouter que l’homme en fureur a dit : il n’y a pas de Dieu. En effet, « il ne s’inquiète pas de l’étendue de sa colère. » (