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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 9, 1866.djvu/214

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nous jouissons des mêmes mystères et de la même nourriture spirituelle. Certes, ce sont là les droits de l’amitié. Mais l’affection chaleureuse, qui nous la donnera ? dit-on. Qu’est-ce qui fait l’amour des corps, la beauté du corps ? Formons-nous donc de belles âmes, et nous serons amoureux les uns des autres ; car il ne suffit pas d’aimer, il faut encore être aimé. Obtenons d’abord d’être aimés, et l’autre sera facile. Comment nous ferons-nous aimer ? Soyons beaux, et agissons de telle sorte que nous ayons toujours des amants. Que personne ne travaille autant à acquérir des biens, des serviteurs et des maisons-, qu’à se faire aimer, qu’à acquérir une bonne réputation. « La bonne renommée est meilleure que d’abondantes richesses ». (Prov. 22,1) L’une demeure, les autres périssent ; on peut s’approprier l’une, les autres sont impossibles à garder. Celui qui a une mauvaise réputation, s’en débarrassera difficilement ; le pauvre sera vite riche par sa bonne renommée. Que quelqu’un ait dix mille talents, et un autre cent amis, celui-ci est plus riche que le premier. N’agissons pas sans réflexion, mais bien comme pour acquérir une certaine opulence. Comment le pourrons-nous ? dit-on. « La gorge douce et la langue gracieuse multiplient les amis ». (Sir. 6,5) Ayons donc une bouche qui parle comme il convient et des mœurs pures. Celui qui est ainsi fait ne saurait rester inconnu.
4. Voyez combien les païens avaient imaginé de liens d’amitié : l’adoption, le voisinage, la parenté. Mais les nôtres sont plus grands que ceux-là ; cette table est plus digne de vénération. Beaucoup s’en approchent qui ne se connaissent même pas les uns les autres ; c’est la multitude qui en est cause, direz-vous. Nullement, mais notre négligence. Ils étaient trois mille et cinq mille les premiers fidèles, et tous ils n’avaient qu’une âme ; maintenant chacun méconnaît son frère, et ne rougit pas de prétexter la foule. Celui qui a de nombreux amis, est invincible à tous, est plus fort que tout tyran. Les gardes de celui-ci ne veillent pas si bien sur lui, que ses amis ne gardent l’autre, et le premier est plus honoré que le second. En effet, le tyran est gardé par ses esclaves, l’autre par ses égaux ; le tyran par des gens qui y sont forcés et le craignent ; l’autre par des gens qui veillent sur lui de bonne volonté et sans crainte ; et on peut voir une chose admirable, beaucoup en un seul, et un seul en beaucoup. Et de même que dans une lyre il y a divers sons et une seule symphonie, et un seul musicien qui pince les cordes de la lyre ; ainsi dans ce cas : la lyre est la charité, les sons qui retentissent, les paroles d’amour proférées par charité, formant une seule et même harmonie, une seule symphonie ; le musicien est la vertu de la charité qui produit la douce mélodie. Je voudrais vous conduire dans une semblable cité, s’il était possible, où il y aurait une seule âme, et où il se ferait une symphonie mieux accordée que celle de n’importe quelle lyre et de n’importe quel musicien, une symphonie qui ne laisse entendre aucun son discordant. Cette mélodie charme les anges et le Seigneur des anges, c’est elle qui anime le théâtre tout entier dans le ciel, retient la colère du démon, calme les élans de la passion. Cette mélodie ne charme pas seulement les passions, mais elle ne leur permet pas même de s’éveiller, et les réduit à un silence absolu : De même que dans un théâtre tous écoutent en silence le chœur des musiciens, et qu’on n’entend aucun bruit ; ainsi parmi les amis, quand la charité s’exerce, toutes les passions s’apaisent et se calment comme des bêtes sauvages qu’on a charmées et fascinées ; au sein des inimitiés, c’est tout le contraire. Mais nous ne dirons rien présentement de l’inimitié, nous ne parlerons que de l’amitié. S’il vous échappe une parole téméraire, personne ne se lève pour vous reprendre, mais tous vous pardonnent. Si vous avez mal agi, personne ne vous soupçonne, on a une grande indulgence ; tous tendent la main bien vite à celui qui tombe, tous ont à cœur qu’il se relève.
L’amitié est véritablement un mur inébranlable que ne peuvent prendre ni le démon, ni à plus forte raison les hommes. Il ne se peut que celui qui a de nombreux amis tombe dans le danger. Il n’a aucune occasion de colère, tout l’entretient dans la paix. Il est toujours dans la joie et le contentement ; l’envie n’a pas de prise sur lui, le souvenir des injures ne saurait trouver place dans son cœur. Voyez comme cet homme mène avec facilité ses affaires temporelles et spirituelles. Qu’est-ce donc qui peut lui être comparé ? Il est comme une ville toute environnée de murailles ; tout autre est comme une cité sans murs. C’est le fait d’une grande sagesse de pouvoir créer