Aller au contenu

Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 9, 1866.djvu/325

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ennemis sans user de leurs armes, mais en les frappant seulement de la main, tuaient les uns et faisaient les autres prisonniers sans recevoir la moindre blessure ; dites-moi, attribuerait-on cela à la puissance humaine ? Et pourtant le triomphe des apôtres est beaucoup plus étonnant que celui-là. Car, qu’un ignorant, qu’un homme sans lettres, qu’un pêcheur aient triomphé de tant d’éloquence, n’aient été arrêtés ni par leur petit nombre, ni par la pauvreté, ni par les dangers, ni par la puissance de l’habitude, ni par la sévérité des préceptes qu’ils imposaient, ni par des morts quotidiennes, ni par la multitude de ceux qui professaient l’erreur, ni par l’autorité de ceux qui l’enseignaient : Voilà qui est bien plus incroyable que de voir un homme nu n’être pas blessé.
Abattons-les donc de la même manière ; combattons-les ainsi, réfutons-les par notre conduite plutôt que par notre langage. Les œuvres, voilà le vrai combat, le raisonnement sans réplique. Quand nous argumenterions sans fin, ce serait peine perdue si nous ne tenions une conduite meilleure que la leur. Ce ne sont pas nos paroles, mais nos actions qu’ils étudient ; ils nous disent : Sois d’abord fidèle à ta doctrine, et prêche-la ensuite aux autres. Si tu parles de biens infinis réservés à l’avenir, et que tu paraisses attaché aux biens présents comme si ceux-là n’existaient pas, je crois à tes actions plutôt qu’à tes paroles. Quand je te vois ravir le bien d’autrui, pleurer outre mesure ceux qui ne sont plus, commettre une foule d’autres péchés, comment te croirai-je lorsque tu parles de résurrection ? S’ils ne vous disent pas cela, ils le pensent et s’en préoccupent. Et là est l’obstacle qui empêche les infidèles de devenir chrétiens. Convertissons-les donc par notre propre conduite. Beaucoup d’hommes illettrés ont ainsi frappé des philosophes, en leur montrant la vraie philosophie ; la philosophie des œuvres, et faisant entendre par leur sage conduite une voix plus éclatante que celle de la trompette : sorte d’éloquence bien au-dessus de celle du langage. Si je prêche l’oubli des injures, et qu’ensuite je nuise à un Grec en mille manières, comment mes paroles l’attireront-elles alors que mes actions le repoussent ? Prenons-les donc dans les filets d’une bonne conduite, édifions et enrichissons l’Église en lui gagnant ces âmes.
Rien, pas même le monde entier, n’égale le prix d’une âme. Donnassiez-vous une immense fortune aux pauvres, vous avez moins fait que de convertir une seule âme. Il est écrit « Celui qui sépare un objet précieux d’une vile matière, sera comme ma bouche ». (Jer. 15,19) Sans doute, c’est une chose excellente d’avoir pitié des pauvres, mais rien n’est aussi grand que d’arracher une âme à l’erreur : car c’est ressembler à Paul et à Pierre. Il nous est donné de succéder à leur prédication, non plus pour braver comme eux les dangers, endurer la faim, la peste et les autres maux (car nous vivons en un temps de paix) ; mais pour déployer l’ardeur de notre zèle. Sans sortir de chez nous, nous pouvons nous livrer à cette pêche. Que quiconque a un ami, un parent, une connaissance, tienne cette conduite, adopte ce langage, et il ressemblera à Pierre et à Paul. Que dis-je, à Pierre et à Paul ? Il sera la bouche du Christ. « Car celui qui sépare une chose précieuse d’une matière vile, sera comme ma bouche ». Si vous ne persuadez pas aujourd’hui, vous persuaderez demain ; si vous ne persuadez jamais, vous aurez cependant toute la récompense ; si vous ne persuadez pas tout le monde, vous en sauverez au moins quelques-uns de la foule. Les apôtres eux-mêmes n’ont pas convaincu tous les hommes, bien qu’ils s’adressassent à tous, et ils sont récompensés comme s’ils les avaient tous gagnés. Car Dieu a coutume de proportionner la récompense aux intentions et non aux succès. Offrez-lui deux oboles, il les accepte ; ce qu’il a fait pour la veuve, il le fait pour ceux qui enseignent la loi. Gardez-vous donc de dédaigner un petit nombre, parce que vous ne pouvez pas convertir le monde entier, et ne négligez point les petits succès, parce que vous ambitionnez les grands. Si vous ne pouvez pour cent, tâchez pour dix ; si vous ne pouvez pour dix, contentez-vous de cinq ; si cinq dépassent vos forces, ne laissez pas que de vous occuper d’un, et si cet un même vous échappe, ne vous découragez pas pour autant, et ne suspendez pas les efforts de votre zèle. Ne voyez-vous pas que, dans les contrats, les marchands n’opèrent pas seulement avec de l’or, mais aussi avec de l’argent ? Si nous ne dédaignons pas les petites choses, nous atteindrons aussi les grandes ; mais si nous négligeons celles-là, nous parviendrons difficilement à celles-ci. C’est en recueillant les unes