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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 9, 1866.djvu/330

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dominé tous les hommes par la force, et que quand des milliers s’efforçaient d’éteindre le nom du Crucifié, c’est le contraire qui est arrivé ; car ce nom a fleuri, a grandi de plus en plus, et ses ennemis se sont perdus, ont couru à leur ruine ; les vivants combattaient le mort, et n’ont rien pu contre lui. Donc, quand le Grec m’accuse de folie, il prouve lui-même son extrême folie ; quand je passe pour un insensé à ses yeux, je suis réellement plus sage que les sages ; quand il me reproche ma faiblesse, il fait preuve lui-même d’une plus grande faiblesse. Car les succès qu’ont obtenu, par la grâce de Dieu, des publicains, des pêcheurs ; les philosophes, les rhéteurs, les tyrans, le monde entier, malgré des peines infinies, n’ont pu même les rêver. Que n’a pas amené la croix ? La doctrine de l’immortalité de l’âme, de la résurrection du corps, du mépris des choses présentes, du désir des choses à venir. Des hommes, elle a fait des anges ; de toutes parts on voit des philosophes, et qui donnent des preuves de toute espèce de courage.
4. Mais, dira-t-on, beaucoup d’entre eux ont aussi méprisé la mort. Lesquels ? je vous prie. Est-ce celui qui a bu la ciguë ? Mais, si vous le voulez, je vous en trouverai des milliers de ce genre dans l’Église. Si, au sein de la persécution, il était permis de mourir en buvant la ciguë, tous seraient bien supérieurs à ce philosophe. Du reste, quand Socrate but la ciguë, il n’était pas libre de la boire ou de ne la pas boire : de gré ou de force, il devait la boire ; c’était donc un acte de nécessité et non de courage ; les brigands et les assassins, condamnés par les justes, subissent de plus grands supplices. Chez nous, c’est tout le contraire c’est de plein gré, librement, et non par force, que gros martyrs ont souffert et, montré une vertu à toute épreuve. Rien d’étonnant à ce que ce philosophe ait bu la ciguë, étant forcé de la boire, et étant parvenu à l’extrême vieillesse ; car il déclara lui-même qu’il avait soixante-dix ans quand il méprisait ainsi la vie, si tant est que ce soit là du mépris ; ce que je n’admets pas, ni moi, ni personne. Mais montrez-m’en un qui ait soutenu courageusement les tortures pour la religion, comme je vous en montrerai des milliers sur tous les points du globe. Qui est-ce qui a supporté généreusement de se voir arracher les ongles ? fouiller les articulations ? déchirer le corps pièce à pièce ? arracher les os de la tête ? étendre sur le gril ? jeter dans la chaudière ? Ceux-là, montrez-les-moi. Mourir par la ciguë, c’est à peu près s’endormir ; on dit même que ce genre de mort est plus doux que le sommeil. Et quand même quelques-uns auraient subi de véritables épreuves, ils n’auraient encore aucun droit à nos louanges, car ils sont morts pour des motifs peu honorables : les uns pour avoir trahi des secrets, les autres pour avoir aspiré à la tyrannie, d’autres pour avoir été surpris dans des actions honteuses ; d’autres enfin, se sont livrés d’eux-mêmes sans but, sans motif, et comme au hasard.
Il n’en est pas ainsi chez nous. Aussi garde-t-on le silence sur le compte de ceux-là, tandis que la gloire de ceux-ci est dans tout son éclat et croît de jour en jour. C’est à cela que pensait Paul, quand il disait : Ce qui paraît en Dieu une faiblesse est plus fort que les hommes. Car c’est là la preuve que la prédication est divine. Comment douze hommes ignorants, qui avaient passé leur vie sur les étangs, sur les fleuves, dans les déserts, qui n’avaient peut-être jamais mis les pieds dans une ville ou sur une place publique, auraient-ils osé former une si grande entreprise ? Comment leur serait venue la pensée de lutter contre le monde entier ? Car, qu’ils fussent timides et lâches, c’est leur historien qui le dit, sans rien nier, sans chercher à dissimuler leurs défauts : ce qui est la plus grande preuve de véracité. Que dit-il donc ? Que dès que le Christ fut pris, ils s’enfuirent, malgré les nombreux miracles dont ils avaient été témoins, et que leur chef, qui était resté, renia son Maître. Comment donc ceux qui, du vivant du Christ, n’avaient pu soutenir l’assaut des Juifs, défieront-ils tout l’univers au combat, quand ce même Christ est mort, a été enseveli, n’est point ressuscité, selon vous, ne leur a point parlé, ne leur a point inspiré de courage ? Ne se seraient-ils pas dit à eux-mêmes : Qu’est-ce que ceci ? Il n’a pu se sauver lui-même, et il nous défendrait ? Vivant, il ne s’est pas aidé ; et mort, il nous tendrait la main ? Vivant, il n’a pas soumis un seul peuple, et nous, à son nom seul, nous soumettrions le monde entier ? Quoi de plus déraisonnable, je ne dis pas qu’une telle entreprise, mais qu’une telle pensée ? Il est donc évident que s’ils ne l’avaient pas vu ressuscité, s’ils n’avaient pas eu la preuve la plus manifeste de sa puissance, ils n’eussent point joué