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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 9, 1866.djvu/329

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pour les Juifs, et une folie pour les Grecs, mais qui est la force de Dieu et la sagesse de Dieu pour ceux qui sont appelés, soit parmi les Juifs soit parmi les Grecs ».
3. Il y a un grand sens dans ces paroles, car il veut dire que Dieu a vaincu à l’aide des contraires, et que la prédication n’est pas de l’homme. Voici ce qu’il entend : quand nous disons aux Juifs : Croyez ; ils nous répondent Ressuscitez les morts, guérissez les possédés du démon, montrez-nous des prodiges. Et que répliquons-nous à cela ? Celui que nous vous prêchons a été crucifié, et il est mort. Cette parole est peu propre à attirer ceux qui ne veulent pas venir, car elle devrait repousser ceux mêmes qui en seraient tentés : et pourtant elle ne repousse pas, elle attire, elle subjugue, elle triomphe. À leur tour, les Grecs nous demandent l’éloquence des discours, l’habileté dés sophismes ; nous leur prêchons encore la croix, et ce qui paraît faiblesse aux Juifs, les Grecs l’appellent folie. Quand donc, bien loin de leur accorder ce qu’ils demandent, nous leur offrons tout le contraire (car non seulement la croix n’est point un miracle, mais, au point de vue de la raison, elle est l’opposé du miracle ; non seulement elle n’est point un signe de force, ni une preuve de sagesse, mais plutôt un indice de faiblesse et une apparence de folie) ; quand, dis-je, non seulement ils n’obtiennent ni les miracles ni la sagesse qu’ils demandent, mais entendent ce qu’il y a de plus opposé à leur désir, et qu’ils s’en laissent persuader : comment ne pas voir là la puissance infinie de Celui qui est prêché ?
Comme si quelqu’un montrait à un homme battu par les flots et soupirant après le port, non le port lui-même, mais un autre endroit de la mer encore plus agité, et le déterminait à le suivre avec des sentiments de reconnaissance ; ou comme si un médecin promettait de guérir un blessé, non au moyen des remèdes qu’il désire, mais en le brûlant de nouveau, et néanmoins l’attirait à lui (ce qui serait certainement la preuve d’une grande puissance) ; ainsi les apôtres ont remporté la victoire, non par un miracle, mais par la chose qui semblait le contraire du miracle. C’est aussi ce que le Christ a fait pour l’aveugle ; car voulant le guérir de sa cécité, il a employé un moyen qui devait l’augmenter : il l’a frotté avec de la boue. Et comme il a guéri un aveugle avec de la boue, de même il s’est attiré le monde entier par la croix : par la croix qui ajoutait au scandale, au lieu de le faire disparaître. Ainsi avait-il déjà procédé dans la création, en opposant les contraires aux contraires. Il a donné le sable pour borne à la mer, la faiblesse à la force ; il a établi la terre sur l’eau, le solide et le dense sur le mou et le liquide. Par le moyen des prophètes, il a ramené le fer du fond de l’eau avec un peu de bois. Ainsi il s’est attiré le monde entier à l’aide de la croix. Comme l’eau porte la terre, la croix porte le monde. C’est la preuve d’une grande puissance et d’une grande sagesse que de persuader par les contraires. La croix semble être un objet de scandale, et, loin de scandaliser, elle attire.
À cette pensée, Paul émerveillé s’écrie que « ce qui paraît en Dieu une folie est plus sage que les hommes, et que ce qui paraît en Dieu une faiblesse est plus fort que les hommes ». Cette folie, cette faiblesse, non réelle mais apparente, dont il parle ici, c’est la croix, et il répond dans leur sens. Car ce que les philosophes n’ont pu faire avec leurs raisonnements, cette prétendue folie l’a fait. Lequel est le plus sage de celui qui convainc la multitude, ou de celui qui ne persuade que quelques hommes, ou plutôt personne ? de celui qui persuade sur les sujets les plus importants, ou de celui qui persuade sur des questions inutiles ? Combien Platon ne s’est-il pas donné de peine sur la ligne, sur l’angle, sur le point, sur les nombres pairs et impairs, sur les quantités égales et inégales, et autres toiles d’araignées semblables (car tout cela est plus inutile pour la vie que des toiles d’araignées) ? Et il est mort sans en avoir tiré aucun profit, ni petit ni grand. Combien n’a-t-il pas pris de peine pour prouver que l’âme est immortelle ? Et il est mort sans avoir rien dit de clair là-dessus, sans avoir convaincu un seul de ses auditeurs ! Et la croix prêchée par des ignorants a convaincu, a attiré à elle le monde entier, non en traitant des questions insignifiantes, mais en parlant de Dieu, de la vraie religion, de la règle évangélique, du jugement futur ; et elle a transformé en philosophes tous les hommes, des paysans, des ignorants. Voyez donc comme ce qui paraît folie et faiblesse en Dieu, est plus sage et plus fort que les hommes. Comment plus fort ? Parce que la croix a parcouru tout l’univers,