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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 9, 1866.djvu/444

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Ainsi cette hypocrisie de sa part proclame partout votre inhumanité. En effet, c’est peut-être après avoir prié, supplié, déploré sa misère, après avoir couru tout le jour en gémissant et en pleurant, sans trouver ce qui lui est nécessaire, qu’il a imaginé ce moyen, qui vous déshonore et vous accuse plutôt que lui. Réduit à une telle nécessité, il est au moins digne de notre compassion ; et nous qui y poussons le pauvre, nous méritons mille châtiments. Il n’aurait pas adopté ce parti, si nous étions faciles à émouvoir. Et pourquoi parler de nudité et de froid ? J’ai à dire quelque chose de bien plus terrible : quelques-uns en sont venus à priver de la vue leurs petits enfants, pour vous exciter à la pitié. Comme leur dénuement, leur âge, leur infortune nous laissaient insensibles tant qu’ils jouissaient de la vue, ils ont ajouté cette nouvelle et plus grande calamité à tant d’autres, pour trouver un remède à leur faim : pensant qu’il valait mieux être privés de la lumière du soleil, ce bien commun à tous, que de lutter continuellement avec la faim et de subir la mort la plus triste. Parce que vous n’avez pas su avoir pitié de leur pauvreté, que vous vous en êtes amusés, au contraire, ils ont satisfait votre insatiable avidité, et allument pour eux comme pour vous une flamme plus terrible que celle de l’enfer. Et pour que vous compreniez bien que la cause en est là, je vous donnerai une preuve évidente et que personne ne pourra contredire. Il y a d’autres pauvres légers et superficiels qui ne savent pas supporter la faim et se résoudront à tout plutôt qu’à la subir. Souvent, après avoir cherché à exciter votre pitié par leurs paroles et leurs gestes, voyant qu’ils n’y gagnaient rien, ils ont quitté un rôle de suppliants, et se sont mis à imiter, à surpasser même les baladins, en mangeant des cuirs de vieux souliers, en s’enfonçant des clous aigus dans la tête, en se plongeant nus dans l’eau gelée ; d’autres ont poussé plus loin encore l’absurdité, afin d’offrir un spectacle misérable.
6. Et vous y assistez, riant et admirant, vous glorifiant pour ainsi dire des maux des autres, d’une conduite déshonorante pour la nature. Que ferait de plus le cruel démon ? Ensuite, pour les encourager à en faire davantage encore, vous leur donnez plus d’argent. Mais quand un homme prie, invoque Dieu, s’approche avec calme, vous ne daignez pas lui répondre ni le regarder ; vous lui adressez même des paroles désagréables, s’il vous presse avec importunité : faut-il que cet homme-là vive ? qu’est-il besoin qu’il respire, qu’il voie le soleil ? – Mais pour les autres vous vous montrez gai, libéral, comme si vous étiez constitué juge de ces ridicules et diaboliques turpitudes. C’est à ceux qui provoquent de tels combats et qui ne négligent rien pour faire maltraiter les autres, qu’il faudrait plutôt adresser ces paroles : Faut-il que ces gens-là vivent ? qu’ils respirent ? qu’ils voient le soleil ? eux qui violent les lois de la nature et outragent Dieu ? Dieu vous dit : Fais l’aumône et je te donnerai le royaume des cieux, et vous ne l’écoutez pas. Le démon vous montre une tête percée de clous, et vous devenez libéral. Une, ruse, et une ruse pernicieuse du méchant esprit, vous fait agir plutôt que la promesse divine, source de biens sans nombre. Quand vous devriez, même à prix d’or, empêcher ces spectacles et éviter d’en être témoin, tout souffrir, tout mettre en œuvre pour faire cesser ces folies ; vous faites tout, vous ne négligez rien, au contraire, pour qu’elles aient lieu et qu’elles se passent sous vos yeux. Demanderez-vous encore, dites-moi, pourquoi il y a un enfer ? Demandez plutôt pourquoi il n’y en a qu’un. Car quels châtiments ne méritent pas ceux qui établissent ces cruels et barbares spectacles, qui rient de choses qui devraient les faire pleurer et vous aussi, vous surtout qui forcez ces malheureux à des actions aussi indécentes ?
Mais, dites-vous, je ne les force pas. – Comment ne les forcez-vous pas, quand vous ne daignez pas même prêter l’oreille aux pauvres plus modestes, qui pleurent et invoquent Dieu, et que vous prodiguez l’argent à ceux-ci et leur attirez des admirateurs ? – Nous les quittons, dites-vous, avec la compassion dans le cœur. – Et vous exigez tout cela ! O homme, exiger tant de peines pour deux oboles, leur ordonner de se déchirer pour gagner leur nourriture, de se couper la peau de la tête si cruellement, si misérablement ; non, ce n’est pas là de la pitié. – Paix ! dites-vous, ce n’est pas nous qui perçons de clous ces têtes. – Plût au ciel que ce fût vous ! le mal ne serait pas aussi grand. Car celui qui tue quelqu’un est beaucoup plus coupable que celui qui ordonne qu’on le tue lui-même ; et c’est ce qui arrive ici. En effet, ils souffrent des douleurs