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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 9, 1866.djvu/445

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plus vives quand on leur commande d’exécuter eux-mêmes ces ordres cruels, et cela à Antioche, dans la ville où les chrétiens ont pris leur nom, où se trouvaient les plus doux des hommes, où l’aumône produisait jadis des fruits si abondants. Car on n’y donnait pas seulement à ceux qui étaient présents, mais on envoyait aux absents, à de grandes distances, et cela quand on était menacé de famine. – Que faut-il donc faire ? direz-vous. – Dépouiller cette cruauté, signifier à tous les pauvres qu’ils ne recevront rien de vous tant qu’ils se conduiront ainsi ; que vous serez généreux envers eux, au contraire, s’ils se présentent avec modestie. Quand ils sauront cela, tant misérables soient-ils, je vous réponds qu’ils ne seront pas tentés de se maltraiter ainsi ; mais ils vous sauront gré de les avoir délivrés de la dérision et de la douleur.
Maintenant vous livreriez vos fils pour des cochers, vous sacrifieriez vos âmes pour des danseurs, mais pour le Christ souffrant de faim vous ne sacrifieriez pas la plus minime partie de votre fortune ; si peu que vous donniez d’argent, vous croyez avoir tout donné, sans songer que l’aumône ne consiste pas simplement à donner, mais à donner avec largesse. Aussi ce ne sont pas ceux qui donnent, mais ceux qui donnent abondamment que le prophète exalte et appelle heureux. Il ne dit pas seulement : Il a donné. Que dit-il donc ? « Il a répandu, il a donné aux pauvres ». (Ps. 3) À quoi vous sert de donner de vos richesses la valeur d’un verre d’eau puisé dans la mer, de ne pas imiter la générosité de la veuve ? Comment oserez-vous dire : Seigneur, ayez pitié de moi selon votre grande miséricorde, et suivant l’étendue de votre compassion, effacez mon iniquité (Ps. 50), quand vous n’aurez point eu pitié vous-même selon la grande miséricorde, que vous n’en aurez peut-être même eu aucune ? Car je suis couvert de honte quand je vois beaucoup de riches montés sur des chevaux à frein d’or, traînant à leur suite des serviteurs chargés d’or, ayant des lits d’argent et une quantité d’autres meubles de luxe, et qui se trouvent beaucoup plus pauvres que les pauvres quand il faut donner à un mendiant.
Et quelle raison en donnent-ils souvent ? – Cet homme, disent-ils, a les ressources communes de l’Église. – Eh ! que vous importe ? Si je donne, vous n’êtes pas sauvés pour cela ; si l’Église donne, vos péchés ne sont pas effacés pour autant. Si vous vous dispensez de donner parce que l’Église doit donner aux pauvres ; vous vous dispenserez donc de prier, parce que les prêtres prient ? Vous serez toujours à table, parce que d’autres jeûnent ? Vous ne savez donc pas que Dieu a fait une loi de l’aumône moins en faveur de celui qui la reçoit qu’en faveur de celui qui la donne ? Le prêtre vous est-il suspect ? Ce serait une faute très grave ; mais je ne discute pas là-dessus ; faites tout par vous-mêmes, et vous recueillerez une double récompense. Ce que nous disons de l’aumône, nous ne le disons pas pour nous attirer vos dons, mais pour que vous les distribuiez vous-mêmes. En m’apportant vos aumônes, vous céderiez peut-être à un sentiment de vaine gloire, souvent même vous vous retireriez scandalisés et pleins de mauvais soupçons, mais en faisant tout par vous-mêmes, vous êtes à l’abri de ces inconvénients et votre récompense sera plus grande.
7. Je ne dis point ceci pour vous obliger à apporter ici votre argent, ni pour me plaindre du mal qu’on dit des prêtres. S’il faut s’indigner, s’il faut gémir, c’est sur vous qui dites ce mal. Car les victimes de la calomnie n’en seront que mieux récompensées, mais les calomniateurs doivent s’attendre au jugement et à un supplice plus terrible. Ce n’est donc pas par inquiétude et par intérêt pour les prêtres, mais pour vous, que je parle. Et quoi d’étonnant à ce que de tels soupçons envahissent certaines âmes dans notre siècle, quand au temps même de ces saints qui prenaient les anges pour modèles, de ces Hommes dépouillés de tout, des apôtres, veux-je dire, il y avait déjà des murmures à l’occasion du service des veuves, parce qu’on négligeait les pauvres ; alors que personne ne possédait rien en propre, mais que tout était en commun ? Laissons donc là ces vains prétextes, et ne pensons pas nous excuser en disant que l’Église possède beaucoup. Quand vous pensez à ces grandes ressources, rappelez-vous aussi cette foule de pauvres inscrits, cette multitude de malades, ces innombrables occasions de dépenses ; examinez, étudiez, personne ne vous en empêche, nous sommes tout prêts à vous rendre compte. Mais je veux aller plus loin. Après que nous vous aurons rendu nos comptes et démontré que nos dépenses ne sont pas moindres que nos revenus, qu’elles les dépassent même