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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 9, 1866.djvu/451

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conduite, si opposée à celle-ci, a été rapportée pour nous apprendre que c’est là l’œuvre du libre arbitre, et que tout est facile à ceux qui veulent. Ne désespérons donc pas. Si vous êtes médisant, avare ou entaché de tout autre vice, songez que Paul a été blasphémateur, persécuteur, insolent en paroles, le plus grand des pécheurs, et que tout à coup il est monté au faîte de la vertu sans que sa conduite antérieure y fît obstacle. Et encore, personne ne met autant d’acharnement à se livrer au vice qu’il en mit à persécuter l’Église. Car alors il sacrifiait son âme, et il s’affligeait de n’avoir pas mille mains pour lapider Étienne. Et encore, il trouva le moyen de se servir de celles des faux témoins, en gardant leurs vêtements. Et quand il entrait dans les maisons, il s’élançait comme une bête fauve, traînant et déchirant hommes et femmes, remplissant tout de tumulte, de trouble, et de combats. Il était si terrible que, même après son admirable conversion, les apôtres n’osaient encore s’attacher à lui. Et néanmoins, après tout cela, il est devenu ce qu’il est devenu ; il n’est pas besoin d’en dire davantage. Où sont donc ceux qui opposent au libre arbitre de notre volonté la nécessité du destin ? Qu’ils écoutent cela et qu’ils se taisent. Rien n’empêche de devenir bon celui qui le veut, eût-il été d’abord des plus méchants. Et nous y sommes d’autant plus aptes, que la vertu est dans notre nature et le vice contre notre nature, de même que la maladie et la santé.
En effet, Dieu nous a donné des yeux, non pour porter des regards impurs, mais pour admirer ses œuvres et adorer leur auteur. L’aspect même des objets nous preuve que telle est la destination de nos yeux. Nous voyons la beauté du soleil et du ciel à travers un espace infini ; personne ne verrait d’aussi loin la beauté d’une femme. Voyez-vous que notre œil est particulièrement destiné au premier usage ? De même, Dieu nous a donné l’ouïe, non pour entendre des blasphèmes, mais des enseignements salutaires. Aussi quand elle est frappée d’un son désagréable, l’âme et le corps même restent dans la torpeur. Il est écrit : « La parole de celui qui jure beaucoup, fait dresser les cheveux sur la tête ». Si nous entendons quelque chose de dur, d’inhumain, nous frissonnons ; si, au contraire, c’est quelque chose d’harmonieux et d’humain, nous en sommes joyeux et satisfaits. Quand notre bouche profère des paroles inconvenantes, elle produit la honte et la rougeur ; si elle dit des choses honnêtes, elle les prononce avec calme et en pleine liberté. Or, personne ne rougit de ce qui est conforme à la nature, mais seulement de ce qui lui est contraire. Et les mains à leur tour se cachent quand elles volent, et cherchent une excuse ; quand elles donnent l’aumône, elles sont fières. Si donc nous le voulions, nous aurions de toutes parts une grande inclination pour la vertu. Si vous me parlez du plaisir que le vice procure, souvenez-vous que la vertu en procure un plus grand. Car avoir une bonne conscience, être admiré de tout le monde, espérer de grands biens, c’est le plus doux de tous les plaisirs pour quiconque connaît la nature du plaisir ; de même le contraire est la plus grande douleur pour qui connaît la nature de la douleur, comme par exemple, d’être déshonoré aux yeux de tout le monde, de devenir son propre accusateur, de trembler et de redouter les maux présents et à venir.
5. Pour rendre tout cela plus clair, supposons un homme marié qui séduit la femme de son voisin, et en jouit clandestinement et injustement ; opposons-lui-en un autre qui aime sa propre femme ; et pour rendre la victoire plus grande et plus évidente, supposons que celui-ci qui ne jouit que de sa femme, aime pourtant la femme adultère, mais contient sa passion et ne fait rien d’illicite. En réalité, cette affection, même contenue, n’est pas exempte de péché ; mais c’est une pure hypothèse que nous faisons pour vous faire sentir le plaisir attaché à la vertu. Rapprochons-les ensuite et interrogeons-les pour savoir lequel mène l’existence la plus douce vous entendrez l’un se glorifier et triompher de la victoire qu’il a remportée sur sa passion ; et l’autre… il n’y a pas même besoin d’attendre de lui aucune réponse : car vous le verrez, à travers ses mille dénégations, plus malheureux que l’homme aux fers. En effet, il craint tout le monde, tout lui est suspect : et sa propre femme, et l’époux de l’adultère, et l’adultère elle-même, et ses proches, et ses amis, et ses parents, et les murs, et les ombres et lui-même ; et, ce qu’il y a de plus terrible encore, sa conscience réclame et aboie chaque jour. Et s’il songe au tribunal de Dieu, il a peine à se tenir debout. Le plaisir est court ; mais la douleur qui le suit est perpétuelle : le