Aller au contenu

Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 9, 1866.djvu/534

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

celui qui aime et celui qui est aimé ne forment plus deux êtres distincts et font une seule et même personne.
Or, cette assimilation est un effet de la charité. Ne cherchez donc pas votre intérêt, si vous voulez trouver votre intérêt. Car celui qui cherche son intérêt ne le trouve pas. Voilà pourquoi saint Paul a dit : « Qu’on ne cherche pas son intérêt, mais celui du prochain ». (1Cor. 10,24) Votre intérêt, en effet, s’identifie avec celui du prochain, et celui du prochain avec le nôtre. Si votre or est enfoui dans la maison du voisin et que vous refusiez d’aller l’y chercher et l’y déterrer, vous ne le trouverez jamais. Il en est de même de votre intérêt. Si vous ne le cherchez pas dans l’intérêt de votre prochain, renoncez à cette couronne promise à la charité. Dieu, en effet, a tout arrangé de manière à ce que nous soyons liés les uns aux autres. Vous voulez éveiller un enfant dormeur et l’engager à suivre son frère ; s’il ne veut pas le suivre de bonne volonté, vous mettez entre les mains du frère quelque objet désirable pour l’enfant, pour que l’envie d’avoir cet objet l’engage à suivre celui qui en est possesseur, et votre moyen réussit. Ainsi Dieu a mis l’intérêt de chacun entre les mains de son prochain, afin que nous accourions les uns vers les autres et que nous ne soyons pas divisés.
Voyez plutôt ce qui se passe pour nous autres qui conversons ensemble. Mon intérêt est entre vos mains et votre avantage entre les miennes. Votre intérêt exige que vous connaissiez ce qui est agréable à Dieu. Or c’est à moi qu’a été confié le soin de vous donner l’enseignement qui vous en instruira ; vous êtes donc forcés de venir à moi. Quant à moi, c’est mon avantage de vous rendre meilleurs, car pour cela je serai largement payé. Or ce résultat dépend de vous. Me voilà donc forcé de courir après vous pour vous rendre meilleurs et pour obtenir de vous ce résultat avantageux pour moi. Voilà pourquoi saint Paul disait : « Où est mon espoir ? n’est-il pas en vous ? » Et dans un autre passage : « Vous êtes mon espérance, ma joie, ma couronne de gloire ». Les disciples de saint Paul faisaient donc sa joie. Aussi pleurait-il quand il les voyait périr. D’un autre côté leurs intérêts reposaient entre les mains de saint Paul. Aussi l’apôtre disait-il : « C’est pour l’espoir d’Israël que ces chaînes m’entourent » (Act. 28,20) ; et ailleurs : « Je souffre pour mes élus, afin qu’ils obtiennent la vie éternelle ». (2Tim. 2,10) De pareils dévouements se voient dans la vie : « Car », dit l’apôtre, « l’épouse, pas plus que l’époux, ne peut disposer de sa personne. Ils appartiennent l’un à l’autre ». (1Cor. 7,4) Nous agissons ainsi envers ceux que nous voulons lier. Nous ne laissons à nul d’entre eux la disposition de lui-même, mais nous étendons la chaîne de l’un à l’autre. Voyez ce qui se passe dans l’ordre judiciaire : le juge ne rend pas la justice dans son intérêt ; il consulte les intérêts de son prochain. Ses inférieurs cherchent, par leurs hommages, par leurs services de toute manière, à servir les intérêts de leur chef. Les soldats prennent les armes dans notre intérêt, c’est pour nous qu’ils affrontent les dangers. Et nous, c’est pour eux que nous bravons les fatigues ; car c’est nous qui les nourrissons.
4. Ne m’objectez pas que ces hommes, en agissant ainsi, cherchent leur intérêt. Je vous répondrai que, s’ils le cherchent, ils le trouvent dans celui du prochain. Le soldat ne trouverait personne pour le nourrir, s’il ne faisait pas la guerre pour ceux qui le nourrissent ; ceux-ci ne trouveraient personne pour les défendre, s’ils ne nourrissaient pas leurs défenseurs. Voyez-vous jusqu’où s’étend la charité et comme elle préside à tout ? Mais ne vous lassez point de compter tous les anneaux de cette chaîne d’or. Après avoir dit : La charité ne cherche pas son intérêt, l’apôtre énumère les avantages qui résultent de cette manière d’être. Quels sont-ils ? « C’est qu’elle ne s’irrite pas ; c’est qu’elle ne pense pas à faire le mal ». Vous voyez que la charité, loin de supporter la tyrannie du vice, ne lui laisse pas seulement mettre le pied chez elle. Il ne dit pas : Elle s’irrite, mais elle surmonte sa colère ; il dit : Elle ne s’irrite pas. Il ne dit pas : La charité ne fait pas le mal ; il dit : La charité ne pense pas à faire le mal. Loin de se préparer à faire du mal à celui qu’on aime, on n’y songe même pas. Comment donc ferait-elle le mal, comment s’irriterait-elle, cette vertu qui bannit jusqu’à l’idée du mal, et c’est là surtout que se trouve la source de la charité. «. Elle n’applaudit pas à l’iniquité ». C’est-à-dire : elle ne se complaît pas dans la souffrance du prochain. Bien loin de là, « elle aime la justice ». (Rom. 12,15) Elle applaudit au bonheur des autres