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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 9, 1866.djvu/538

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le patriarche lui-même qui vous l’apprend. Car, accusant son beau-père, il dit : « J’ai passé vingt ans avec toi ». (Gen. 31,38-40) Et comment avez-vous passé ces vingt ans ? C’est ce qu’il nous apprend encore lui-même :. « Brûlé par la chaleur du jour et le froid de la nuit, et le sommeil s’éloignait de mes paupières ». Voilà ce que, disait cet homme simple, sédentaire, et qui menait une vie si paisible. Qu’il fût timide, c’est ce qui n’est point démenti par ceci, que, quand il s’attendait à voir Esaü, il mourait de crainte. Mais voyez comme l’amour a rendu cet homme timide plus hardi qu’un lion. Comme un guerrier placé au premier rang, il était prêt à soutenir le choc de cet ennemi qu’il croyait si farouche et avide de carnage, et à faire de son corps un rempart pour ses femmes, et le premier il désirait voir, sur le champ de bataille, celui qu’il craignait et qu’il redoutait. L’amour de ses femmes l’emportait en lui sur la crainte. Voyez-vous comment, quoique timide, il devient tout à coup hardi, non par un changement de caractère, mais par la force que donne l’amour ? Car, qu’il fût timide même dans la suite, c’est ce qui est démontré, par ceci, qu’il changeait sans cesse de demeure.
Il ne faut point croire que ces paroles soient une accusation contre le juste. Ce n’est pas, en effet, un crime d’être timide, cela est naturel ; c’en est un seulement, quand la crainte nous fait transgresser nos devoirs. Un homme naturellement timide peut devenir par piété fort et magnanime. Voyez Moïse : ne s’est-il pas sauvé par la crainte d’un, seul Égyptien, pour s’en aller dans l’exil ? Cependant ce fugitif, qui n’avait point supporté les menaces d’un seul homme, après avoir goûté le miel de la charité, par un beau mouvement et sans que personne l’y forçât, était prêt à mourir avec ceux qu’il aimait. «. Si tu leur remets », dit-il, « leurs péchés, remets-les ; sinon, efface-moi aussi du livre que tu as écrit ». (Ex. 32,31) Que l’amour donne la douceur à l’homme farouche, et la chasteté au débauché, c’est ce qu’il n’est point besoin de prouver par des exemples : cela est clair pour tous : fût-on plus cruel que toute bête fauve, l’amour vous rend plus doux qu’un agneau. Car qu’y avait-il de plus cruel et de plus furieux que Saül ? mais quand sa fille délivra son ennemi, il ne prononça pas même une parole amère contre elle, et celui qui avait tué tous les prêtres à cause de David, quand il vit que sa fille l’avait fait évader de sa maison, ne trouva pas même contre elle une parole d’indignation, quoiqu’elle se fût rendue coupable de fraude envers lui ; il était retenu par le frein plus puissant de l’amour. De même que la douceur, la charité donne la continence : si quelqu’un aime sa femme comme il faut l’aimer, quoiqu’il soit naturellement débauché, il n’en verra point d’autre, contenu qu’il est par l’amour de sa femme ; car il dit : « L’amour est puissant comme la mort ». (Cant. 8,6) Ainsi, on n’est débauché que parce qu’on n’aime point. Puis donc que la charité est ouvrière de toute vertu ; il faut la faire entrer dans nos âmes avec le plus grand soin, afin qu’elle nous apporte de nombreux biens, et pour cueillir à jamais ses fruits abondants, toujours certains, et qui ne se corrompent point. C’est ainsi que nous obtiendrons les biens éternels : puissions-nous les acquérir par la grâce et la faveur de Notre-Seigneur Jésus-Christ auquel, conjointement avec le Père et le Saint-Esprit, appartiennent la gloire, la puissance et l’honneur, aujourd’hui et toujours, et dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il. ==