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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 9, 1866.djvu/575

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tout. Mais il ne faut pas que ses dernières paroles jettent l’auditeur dans le relâchement ; aussi dit-il : « Et sa grâce n’a point été stérile en moi ». Il y a encore ici l’humilité ; il ne dit point : J’ai montré un zèle ardent qui méritait la grâce, mais : « Elle n’a point été stérile, mais j’ai travaillé plus que tous les autres ».
Il ne dit pas : J’ai été honoré, mais : « J’ai travaillé » ; il pouvait dire les dangers et les morts qu’il avait su affronter ; le mot de travail atténue son éloge. Ensuite, par l’humilité qui lui est habituelle, glissant vite sur ce point, il rapporte le tout à Dieu ; il dit : « Non pas moi toutefois, mais la grâce de Dieu qui est avec moi », Où rencontrer une âme qui mérite plus d’admiration ? Entre tant de paroles pour se rabaisser, s’il en prononce une seule qui l’élève, alors même il ne s’attribue pas le mérite, et tant par ce qui précède que par ce qui suit, il corrige l’orgueil de ce qu’il n’a dit pourtant qu’à cause que la nécessité le contraignait. Voyez l’abondance, les flots de paroles qui expriment l’humilité. En effet, « et qu’enfin, après tous les autres, il s’est fait voir à moi-même » ; voilà pourquoi il ne nomme pas un autre apôtre avec lui ; et, « qui « ne suis qu’un avorton », il se regarde comme le moindre des apôtres, comme indigne de ce titre. Ce n’est pas tout : il ne veut pas afficher l’humilité en paroles, il donne des raisons, il démontre qu’il n’est qu’un avorton, puisqu’il a été le dernier à voir Jésus, qu’il est indigne du titre d’apôtre, puisqu’il a persécuté l’Église. Telle n’est pas la conduite de celui dont l’humilité n’est qu’une apparence ; mais celui qui explique ses motifs d’humilité, prouve la contrition de son cœur. Aussi voit-on ailleurs dans Paul l’expression des mêmes sentiments : « Je rends grâces à celui qui m’a fortifié, à Jésus-Christ, de ce qu’il m’a jugé fidèle, en m’établissant dans son ministère, moi qui étais auparavant un blasphémateur, un persécuteur, un ennemi outrageux ». (1Tim. 1,12-13) Mais pourquoi cette fière parole : « J’ai travaillé plus que tous les autres ? » La circonstance le contraignait. S’il ne l’eût pas dite, s’il n’eût fait que se rabaisser, comment aurait-il pu trouver assez d’assurance pour produire son propre témoignage, pour se compter avec les autres apôtres, de manière à dire : « Ainsi, soit moi, soit ceux-là, quel que soit celui de nous qui parle, voilà ce que nous prêchons (11) ? » Un témoin doit être digne de foi et avoir de la valeur. Maintenant, en ce qui concerne ce fait qu’il a travaillé plus que les autres, il l’a prouvé plus haut, en disant : « N’avons-nous pas le droit de manger et de boire comme les : autres apôtres ? » Et encore : « J’ai vécu avec ceux qui n’avaient pas de loi, comme si je n’eusse point eu de loi ». (1Cor. 9,4, 21) Fallait-il montrer la régularité, la perfection, il surpassait tous les autres ; fallait-il savoir user de condescendance, il montrait, en ce sens, la même supériorité. Quelques auteurs entendent par ce plus grand nombre de fatigues, ses missions auprès des nations, ses voyages dans la plus grande partie de la terre. D’où il est manifeste qu’il avait reçu plus de grâces. Car s’il a plus travaillé, c’est que la grâce en lui était plus abondante ; et s’il a reçu plus de grâces, c’est qu’il a montré un zèle plus ardent. Voyez-vous comme ses efforts pour se mettre à l’ombre, pour dissimuler sa valeur, ne vont qu’à montrer qu’il est le premier de tous ?
6. Apprenons par cet exemple, nous aussi, à confesser nos fautes, à passer nos bonnes œuvres sous silence ; si les circonstances nous mettent dans la nécessité de rappeler nos vertus, parlons-en avec modestie, et sachons tout rapporter à la grâce. C’est ce que fait Paul : sa vie passée, il la flétrit, il en confesse toutes les hontes ; les actions qu’il a faites depuis, il les attribue à la grâce, il montre par tous les moyens, la bonté, la clémence de Dieu qui, le voyant dans son premier état, l’a sauvé, et après l’avoir sauvé, a fait de lui ce qu’il est devenu. Donc il ne faut jamais, ni que le pécheur désespère, ni que l’homme vertueux s’abandonne à la confiance ; celui-ci doit être timide, celui-là plein de bonne volonté. L’indolence ne suffit pas pour que l’on persévère dans la vertu, et la bonne volonté ne saurait être sans force pour fuir le mal. De ces deux vérités, le bienheureux David est pour nous un exemple ; le voilà, pour s’être un peu endormi, tombé d’une chute grave ; la componction le saisit, et vite il remonte à sa première hauteur. C’est que désespoir et indolence sont deux malheurs également déplorables : l’indolence vous fait bien vite tomber de la voûte du ciel, le désespoir ne laisse pas se relever celui qui est abattu et gisant. Voilà pourquoi Paul disait ces paroles à l’indolent (564) : «