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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 9, 1866.djvu/620

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adouci la tumeur enflammée qui est dans son âme et calmé d’avance la douleur que doit causer l’incision de la remontrance que vous avez à lui faire ; lorsque vous vous serez plus d’une fois excusé, et que vous l’aurez supplié de ne pas se fâcher, lorsque vous l’aurez comme lié par toutes ces précautions, alors portez le coup, en ayant soin de n’enfoncer ni trop ni trop peu le fer, de peur que d’un côté ; si la plaie est peu sensible, il ne la méprise, ou que de l’autre, si elle est trop profonde, il ne se révolte. D’une manière comme de l’autre, ce serait manquer le but.
C’est pourquoi après avoir donné le coup, mêlez encore les louanges avec les réprimandes que vous faites. Et parce que son action ne peut être louée pour elle-même, puisqu’on ne peut approuver qu’un homme vive ainsi avec une jeune fille, louez-le au moins de l’intention qu’il dit avoir eu en cela. Je sais bien, lui direz-vous, que c’est en vue de Dieu que vous agissez, que l’état d’abandon et le manque de protection où vous avez vu cette pauvre créature vous ont déterminé à lui tendre une main secourable. Bien que vous soyez convaincu que son intention est tout autre, parlez-lui néanmoins de la sorte ; après cela recommencez encore à vous excuser, dites : Ce n’est point pour vous rien commander que je parle ainsi, c’est pour vous représenter simplement les choses. C’est en vue de Dieu que vous agissez, je n’en doute pas ; mais prenons garde qu’il n’en résulte un autre mal. S’il n’en peut résulter aucun, rien de mieux, retenez-la chez vous, continuez une charité si louable, personne ne s’y opposera. Mais s’il en devait sortir plus de mal que de bien, gardons-nous, je vous prie, en voulant soulager une âme, d’en scandaliser mille. Ne lui mettez pas néanmoins brusquement devant les yeux les châtiments réservés à ceux par qui le scandale arrive ; mais prenez-le à témoin lui-même, et dites-lui par exemple : Vous n’avez pas besoin que je vous apprenne ces choses, vous savez vous-même quelle terrible menace a été lancée contre celui qui aura scandalisé un de ces petits. Après tous ces ménagements de paroles, ces précautions pour prévenir la colère, appliquez la remontrance et la correction. S’il alléguait encore l’abandon où se trouve la jeune fille, ne lui prouvez pas encore que ce n’est là qu’un prétexte, mais dites-lui : Ne craignez rien, vous aurez une justification suffisante dans le scandale que cela cause. Car ce n’est point parce que votre charité s’est refroidie, c’est par égard pour les autres que vous vous serez séparé de cette jeune fille.
5. Du reste, sur le chapitre des conseils, soyez bref ; il n’a pas besoin d’une longue instruction, mais ne craignez pas d’accumuler les excuses. Rejetez-vous souvent sur la charité, adoucissez ce que la remontrance a de naturellement dur, faites-le juge lui-même de la question, dites : Quant à moi, voilà le conseil que je vous donnerais, mais c’est à vous de décider, vous êtes le maître. Je ne veux pas gêner votre liberté, mais je m’en rapporte à votre sentiment. – Si nous savions user de ces ménagements dans nos réprimandes, nous pourrions aisément corriger ceux qui pèchent, mais notre manière d’agir en ces circonstances est plus digne des brutes que des hommes. Quand quelques-uns ont remarqué un péché de ce genre, ils se gardent bien d’en souffler mot à celui qui s’en rend coupable, mais ils en chuchotent entre eux comme des vieilles femmes ivres. Alors le proverbe Faites-vous aimer sans raison, mais sans raison ne vous faites point haïr, n’est plus de mise. On veut contenter sa passion de médire, et alors on ne se met plus en peine de se faire haïr sans raison, on va plus loin, on brave le châtiment qu’encourt la médisance. Est-il question de corriger, alors on n’a plus à la bouche que le proverbe ci-dessus, et mille autres prétextes aussi vains : C’était lorsque vous médisiez, lorsque vous calomniiez qu’il fallait dire et « ne vous faites pas haïr sans raison », et « cela ne sert à rien », et « que m’importe ». Mais au contraire, c’est alors que vous êtes curieux à l’excès, et que vous vous mêlez de mille choses qui ne vous regardent point ; alors vous ne craignez plus ni la haine ni tous les maux possibles. Quand il faut s’occuper du salut de son frère, on se pique de n’être ni indiscret, ni importun. Cependant la médisance produit la haine de Dieu et des hommes, mais on ne s’en inquiète guère ; tandis que les conseils donnés en particulier, et que les remontrances présentées charitablement vous procureraient l’amitié et des hommes et de Dieu. Que si celui que vous avertissez vous prend en, haine, Dieu vous en aimera davantage. Et même celui que vous aurez repris ne vous haïra pas autant que si