Page:Jorga - Histoire des roumains et de leur civilisation, 1920.djvu/290

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même sous un aspect caricatural, dû au mélange avec les modes nouvelles, les coutumes du passé, elle eut un peintre immortel dans J. L. Caragiale, qui était issu d’une famille d’artistes dramatiques, et qui sut manier le fouet d’une impitoyable satire.

Outre cette inspiration populaire, une connaissance approfondie de la littérature allemande, l’initiation à la culture classique, la piété religieuse pour le passé, un sens supérieur de la musique, du langage, contribuèrent à former la poésie complexe de Michel Emi-nescu, d’une forme parfois si rustiquement claire, parfois capiteuse par tous les parfums rares qu’elle dégage. Le grand poète du pessimisme, si habile à exposer ses idées abstraites, ses aspirations à la paix suprême dans le renoncement au principe même de l’existence, n’en fut pas moins un des restaurateurs du fonds original de la nation, par le rythme qu’il adopta, par la propriété des termes et leur énergie concrète, par sa profonde familiarité avec tout ce qui vient du peuple, par le timbre populaire de son âme elle-même. Fils d’un petit propriétaire moldave et ayant passé ses premières années à la campagne, les vicissitudes de la jeunesse l’amenèrent à Cernauti, où il fut l’élève du rénovateur même de la vie roumaine dans cette province, le Transylvain Aaron Pumnul, soutenu par les Hurmuzaki, puis à Blaj, où il connut le milieu renfermé, tout plein de traditions, des chanoines de l’Église unie, mais aussi les élans d’un peuple robuste vers la liberté nationale, et il devait passer de longues années comme rédacteur d’une feuille de parti à Bucarest. L’unité roumaine, dans l’espace aussi bien que dans le temps, paraissait vouloir se manifester dans cette personnalité exceptionnelle, dont l’activité fut interrompue trop tôt par la folie et une mort tragique. Ses qualités se retrouvent dans celui qui fut le plus digne d’être son successeur, Alexandre Vlahuta.