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ESTERHAZY

Esterhazy, dans le roman où il s’attribue le rôle d’un contre-espion héroïque[1], raconte qu’il porta lui-même, à l’ambassade d’Allemagne, le 3 septembre, à trois heures de l’après-midi[2], le bordereau dans son enveloppe. Les documents annoncés n’y étaient ni inclus ni annexés. — Cependant, ils sont à Berlin. — Il savait que Schwarzkoppen était absent de Paris. L’enveloppe, en papier bulle jaune, était marquée, dans un de ses angles, d’une petite croix au crayon rouge. À ce signe, la femme

  1. Esterhazy a donné de très nombreuses versions de son roman avec des variantes qui sont, souvent, inconciliables : le 24 août 1898, conversation avec Rowland-Strong, correspondant de l’Observer et du New-York Times, au restaurant Brébant ; en septembre, conversation avec Strong, Fielders, journaliste américain, Mme Beer, directrice de l’Observer, dès son arrivée à Londres (Cass., I, 743 et suiv. ; Rennes, II, 287) ; récit fait à Serge Basset, rédacteur au Matin, en mai 1899 (Rennes III, 385) ; lettre du 13 janvier 1899 au premier président Mazeau (Cass., I, 609) ; déposition à Londres, 1er mars 1900. — Chincholle, rédacteur au Figaro, dépose que, le troisième jour du procès Zola, Esterhazy, très irrité, aurait dit, devant lui, à des « amis civils » qui semblaient vouloir le calmer : « Ils m’embêtent, à la fin, avec leur bordereau. Eh bien, oui ! je l’ai écrit ; mais ce n’est pas moi qui l’ai fait ; je l’ai fait par ordre. » (Cass., I, 267). Même confidence aurait été faite, selon Chincholle, à un journaliste du Havre. Même confidence à Gaston Méry, rédacteur à la Libre Parole, en mai 1898 (Temps du 27 avril 1899). Esterhazy, à l’audience du 24 janvier 1899, dit que « Chincholle a menti ». (Cass., I, 598.) Cette version, que Rochefort attribuait à Mathieu Dreyfus, a paru, pour la première fois, dans la Libre Parole et dans l’Intransigeant du 19 novembre 1897 ; elle fut alors traitée d’idiote par Esterhazy. Voir t. V, 276, lettre à Carrière, du 6 août 1899.
  2. Cette date ne figure dans aucun des trois textes de la déposition d’Esterhazy, mais elle a été donnée par lui à un journaliste qui en prit note ; ce mensonge supplémentaire est, d’ailleurs, sans importance. Dans la version publiée à Bruxelles, Esterhazy s’exprime ainsi : « Le bordereau arriva au ministère de la Guerre dans les premiers jours de septembre, le jour même où je l’ai porté en personne, sous enveloppe, à l’ambassade d’Allemagne et déposé dans le casier de Schwarzkoppen, dans la loge du concierge de l’ambassade. » (P. 40.)