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ESTERHAZY


étaient du complot, s’ils furent dupes ou complices, si d’Aboville et Fabre furent de faux témoins, si l’enquête de Du Paty, l’instruction de d’Ormescheville, tout le procès ne furent qu’une comédie scélérate.

Ce mélange de demi-aveux et d’absurdes impostures, c’est tout l’art d’Esterhazy. Il est à ce point menteur que les quelques vérités, dont il convient, il les dénature en les confessant. Parfois, il se charge pour se disculper. Parfois, encore, la vérité sort de ses mensonges. Ainsi, de ce qu’il prétend avoir porté lui-même le bordereau à l’ambassade, on peut conclure qu’il l’envoya par la poste à Schwarzkoppen. S’il était venu à Paris, il eût su que l’Allemand n’était pas de retour, d’où son silence, et il n’eût pas demandé à « le voir ». Cette hypothèse, qui me semble une certitude (l’envoi du bordereau par la poste), explique tout : l’emploi du papier pelure par les avantages d’un pli léger qui n’appelle pas l’attention ; la disparition ultérieure de l’enveloppe, timbrée du lieu d’origine, révélatrice d’Esterhazy ; le fait que les notes annoncées, qui faisaient partie d’un autre pli, parvinrent à Schwarzkoppen[1].

Ainsi, les choses se passèrent très simplement. Venue par la poste, ou portée à l’ambassade par Esterhazy ou par un commissionnaire, la lettre fut déposée, par le concierge de l’ambassade, dans le casier de l’attaché absent. Brucker l’y prit ou la Bastian la lui donna. Et Brucker la porta à Henry. J’ai raconté le reste[2].

  1. Cass., I, 539, Hartmann.
  2. Voir t. Ier, 45 et suiv.


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