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L’ILE DU DIABLE


une prière suprême, de faire cesser son martyre[1].

Félix Faure savait la forfaiture de Mercier, le coup de la pièce secrète. Sa réponse fut transmise, trois mois après[2], à Dreyfus : « Repoussé, sans commentaires. »

VI

Cette crise, ce brutal refus, furent salutaires au malheureux. Il avait lié son existence à l’inflexible foi que justice lui serait rendue : « Cette espérance morte, ce serait le signal de ma mort[3]. » Il ne renonça qu’à la chimère d’une prompte réparation et organisa scientifiquement sa vie.

Il avait compris (au lendemain de sa condamnation) que, s’il s’abandonnait à sa douleur, se laissait aller à raisonner sans fin, à déraisonner sur son incompréhensible malheur, son intelligence y sombrerait. Cette claire vision des choses lui revint. De son rocher, il ne peut que « soutenir, à travers les distances, avec toutes les forces vives de son être », ceux qui luttent là-bas pour la conquête de son honneur. Il ne peut que cela — et attendre. La sagesse lui dit d’être calme, de s’imposer une âme de patient. Dès lors, puisqu’il veut être là, avec sa femme et ses enfants, le jour du « bonheur suprême » où son innocence sera reconnue ; comme il s’est rendu compte, en lisant et relisant les lettres des

  1. Lettre du 8 octobre 1895.
  2. 12 janvier 1896. — Rennes, I, 253, Rapport de janvier 1896.
  3. Lettre du 15 mars 1896.