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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


des courriers, comme un mal chronique ; les lettres manquèrent pendant trois mois, perdues ou supprimées ; — en juillet, « on l’entendit parfois sangloter, on le vit souvent cacher ses larmes » ; en août, « il pleura encore beaucoup, réclama des livres pour tâcher d’oublier, dit qu’il ne pouvait penser qu’avec une excessive douleur au cerveau et ne pouvait pas relire les lettres de sa femme » ; — et toujours rien, toujours aucune trace du bandit dont il expiait le crime. Mais, plus durs devenaient les hommes et les choses, plus il se raidissait contre son supplice, défendait sa raison contre le désespoir, précurseur de la folie, comme un soldat défend sa dernière position contre l’ennemi, s’enfermait dans son orgueil, dans sa vertu, et se jurait de tenir jusqu’au bout, à travers l’horrible longueur des heures, « de voir la fin du drame[1] ».

VII

Depuis plus d’un an que l’innocent était dans ce tombeau, Mathieu Dreyfus cherchait en vain le traître.

Pendant l’époque tragique du procès, tous les amis n’avaient pas encore déserté la maison. La plupart des hommes attendent la victoire pour voler à son secours. Quelques-uns, moins grossiers, se ménagent pour paraître l’avoir pressentie.

Après la dégradation, le vide se fit autour des Dreyfus. Seuls, le grand rabbin, quelques intimes, appor-

  1. Rennes, I, 254, Rapports de juillet et d’août 1896. — Cinq Années, 119, 182, 187, 190, 193, 214, etc.