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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

À la réflexion, Picquart se demanda si la carte-télégramme n’était pas trop explicite, dès lors suspecte. La formule : « la maison R » semble indiquer que le traître à des associés. Pourquoi, ayant écrit cette carte, l’Allemand ne l’a-t-il pas expédiée ? Serait-ce qu’au moment où il allait l’envoyer, il a été surpris par une nouvelle visite de l’espion, mieux documenté cette fois ? On peut le supposer[1], mais sans expliquer que Schwarzkoppen ait jeté au panier ce billet compromettant. Les journaux, en 1894, ont raconté que la pièce capitale du procès a été trouvée dans ce panier ; Picquart le croyait[2] ; et, comme il n’avait reçu, depuis huit mois, que des papiers sans valeur par la voie ordinaire du cornet[3], il en avait conclu que l’attaché allemand se tenait sur ses gardes. Maintenant, Schwarzkoppen jette au panier un pareil billet ! Ne serait-ce pas un piège[4] ?

Piège bien compliqué : pour donner une leçon à l’État-Major français, compromettre un officier, peut-être innocent, qui porte un des grands noms historiques de l’Europe ! Picquart pensa que cela n’avait rien d’impossible.

Il n’avait pas cessé de croire Dreyfus coupable, mais aussi que l’affaire avait été très mal conduite. S’il y a vraiment, comme Lauth en a eu l’instinct, un autre

  1. Enq. Pellieux, 26 nov. 1897 ; Instr. Ravary, déc, Picquart.
  2. Enq. Pellieux, 16 nov. 1897 ; Instr. Tavernier. 23 sept. 1898.
  3. Cass., I, 147 ; Instr. Tavernier, 28 sept. 1898, Picquart : « Je me demandais constamment si les personnes chez qui se trouvait le panier n’étaient pas suffisamment mises en méfiance pour faire désormais la plus grande attention. Et la pauvreté des renseignements qui nous étaient donnés, depuis lors, par cette voie, semble me donner raison. »
  4. Instr. Tavernier, 28 sept. ; Cass., I, 147. Picquart.