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LE PETIT BLEU


traître, il ne sera pas, lui, un second Du Paty. Si l’homme dénoncé par le petit bleu est innocent, il n’aura pas à se reprocher de l’avoir signalé à la légère. Il lui est déjà arrivé de trouver des lettres d’officiers mêlées à des correspondances d’espion, et, s’étant informé sans bruit, de reconnaître qu’il n’y avait là qu’un hasard[1].

Le jeune lieutenant-colonel, nommé de la veille, fier de sa rapide fortune, trop sûr de lui, résolut ainsi de procéder lui-même à une première enquête avant d’aviser Billot, Boisdeffre et, surtout, Gonse[2]. Si ce bavard est informé, tout le ministère le sera avant le soir, et, dès le lendemain, la presse, comme à l’époque du procès Dreyfus. Il ne déchaînera pas, à nouveau, un pareil scandale[3]. Il a appris aussi, à l’école de Galliffet, qu’il ne faut pas inquiéter inutilement les chefs.

L’événement condamnera ce raisonnement de Picquart. Son silence à l’égard des chefs deviendra l’un de leurs griefs contre lui, et le plus plausible aux yeux d’un public aussi simpliste que Picquart est subtil. Pour n’avoir pas eu peur de la responsabilité, il a forgé contre lui-même la plus dangereuse des armes. Pour n’avoir pas averti immédiatement le ministre, il a laissé à Henry le temps d’ourdir ses trames.

Sa décision prise, la première chose qu’il eût à faire, était de se renseigner sur Esterhazy.

  1. Enq. Pellieux, 26 nov. 1897 ; Procès Zola, I, 314, Picquart.
  2. Cass., I, 552 ; Billot : « Cela (cette procédure de Picquart) me paraît effectivement d’une gravité assez grande, en faisant remarquer toutefois que, dans cette matière, tout peut dépendre des précédents établis dans le service. Je sais bien que des précédents de cette nature n’auraient pas mon agrément. »
  3. Aff. Picquart, 260, Picquart : « J’avais encore à l’esprit toutes les légèretés commises à l’époque de l’affaire Dreyfus et tout l’affolement dont elle avait été la cause. »