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LA DOUBLE BOUCLE

Et encore :

Je ne suis ni découragé ni abattu. Plus les nerfs sont tendus à l’excès par tous les supplices, plus la volonté doit devenir vigoureuse dans son dessein d’y mettre un terme. Et le seul terme à nos tortures à tous, c’est la découverte de la vérité. Si je vis contre mon corps, contre mon cœur, contre mon cerveau, luttant contre tout cela avec une énergie farouche, c’est que je veux pouvoir mourir tranquille, sachant que je laisse à mes enfants un nom pur et honoré, te sachant heureuse…

Ta conscience, ton devoir, nos enfants, doivent être pour toi des leviers irrésistibles, qu’aucune douleur humaine ne saurait faire ployer.

Oui, parfois, la plume me tombe des mains ; je suis hébété par tant de souffrances…

Je me demande, parfois, ce que j’ai fait pour que toi, que j’aime tant, pour que mes pauvres enfants, nous tous, nous soyons appelés à souffrir ainsi. Et j’ai des moments de désespérance, de colère aussi, car je ne suis pas un saint. Mais alors, j’ai toujours évoqué, j’évoque toujours ta pensée, celle des pauvres petits, et ce que j’ai voulu t’inspirer, vous inspirer à tous, depuis le début de ce lugubre drame, c’est qu’au-dessus de tout cela, il y a quelque chose de plus haut, de plus élevé.

Ma lettre est comme un grand hurlement de douleur. Mais parler toujours de sa douleur ne lui est pas un remède et ne fait que l’exaspérer ; et ce n’est ni avec des colères ni avec des lamentations que vous hâterez le moment où la vérité sera découverte.

Et, une fois de plus, il réitère l’avis qu’il a tant de fois donné, qui devient un ordre : il commande à sa femme d’aller avec les enfants, « ces deux têtes chéries et innocentes, » trouver le Président de la République, les ministres, les juges eux-mêmes. « Car, si les passions égarent parfois les esprits les plus honnêtes, les