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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


à la même table[1], et se familiarisèrent ensemble aux vilenies contagieuses du métier[2].

Au dehors, Esterhazy pataugeait dans le bourbier parisien. Comme il n’était pas venu à Paris pour se pousser plus vite, sous l’œil des grands chefs, mais pour y lâcher la bride à ses passions, et d’abord à la plus brûlante, à celle qui permet de satisfaire aux autres, il alla tout droit aux deux usines où se fabriquent les fortunes rapides, au tripot et à la Bourse.

Il n’est pas certain que, né riche, il eût rêvé de gloire ; mais il n’a que sa solde, avec quelques épaves de l’héritage paternel ; dès lors, sa pensée dominante, c’est l’argent.

Il écrira plus tard, regrettant d’être jamais entré dans l’armée, « qu’il eût mieux fait de laisser pour les affaires ce stupide métier[3] ». Il avait, en effet, une certaine intelligence de la spéculation et des com-

    terhazy ; — 2° texte publié par le journal le Siècle, au mois de mai 1901, puis en brochure, d’après un manuscrit autographe d’Esterhazy qui a été conservé ; — 3° texte publié par l’Indépendance belge, à la même époque, puis en brochure, d’après un autre manuscrit d’Esterhazy. Les versions du Siècle (Édition de Paris) et de l’Indépendance belge (Édition de Bruxelles) sont substantiellement conformes au texte original, mais elles sont beaucoup plus développées, « enrichies » de détails nouveaux et de commentaires. Esterhazy tire à la ligne, comme un bon fabricant de romans-feuilletons. — Le texte publié par le Siècle fut payé 5.000 francs par l’Agence nationale ; l’Indépendance paya le sien 3.000. — Les documents originaux que produit Esterhazy sont d’un grand intérêt. Son propre récit est rempli de mensonges. Aucune de ses assertions ne peut être acceptée sans un contrôle sévère. On peut le tenir pour véridique lorsqu’il n’a aucun avantage à mentir. Encore ment-il parfois pour le plaisir, par habitude.

  1. Dép. à Londres, 1er mars 1900.
  2. Rouff dit à Cordier qu’Esterhazy faisait fort peu de besogne ; « il aimait beaucoup à se promener et à s’amuser ». (Rennes, II, 518.)
  3. Lettre à Christian Esterhazy. (Mémoire, 47.)