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ESTERHAZY


binaisons de l’agiotage, en possédait surtout le vocabulaire ; il était financier, comme il était soldat, boursier-marron et soudard. Mais il n’avait pas plutôt réalisé quelque gain qu’il le dépensait, amoureux de paraître et du luxe extérieur, en chasse, tous les soirs, dans les lieux de plaisir[1]. Au cercle[2], il fit si bien qu’il devint suspect ; il engageait ses collègues dans des opérations de bourse qui, trop régulièrement, tournaient au désastre ; on éconduisit cet agioteur galonné. La société riche où il eût voulu pénétrer, qu’il eût exploitée et amusée, lui ferma obstinément ses portes. Il ne faisait sonner que plus haut ses relations nobiliaires, procédé familier aux chevaliers d’industrie, et, battant monnaie de son titre, parada dans le demi-monde et les coulisses des théâtres, fit des dupes et s’encanailla. Nécessairement, dans cette course à l’argent, quand la fortune cessa de lui être propice, il emprunta, accumula les dettes ; sa signature traîna chez tous les usuriers[3]. Puis, il glissa plus bas encore, aux grosses friponneries, à l’argent des femmes, et, toujours plus bas, dans les moments de grande détresse, jusqu’au vol, vol de titres et vol de bijoux[4]. Par deux fois, il se

  1. Procès Esterhazy, 134 : « Il est évident que j’ai toujours eu des besoins d’argent. » — Cass., I, 711, Grenier : « Il menait la grande vie sans fortune suffisante. »
  2. Au cercle de la rue Royale. Il y entra en 1875, présenté par MM. Passy et Lecouteux de Caumont. En 1884, le cercle décida de se dissoudre, non pas faute de ressources (c’était déjà l’un des cercles les plus riches de Paris), mais pour se reconstituer en éliminant, sans scandale, quelques-uns de ses membres compromis dans des histoires de jeu ou dans d’autres affaires fâcheuses. Esterhazy n’osa pas se représenter, craignant de ne pas être agréé.
  3. Procès Esterhazy. 126 : « Mon écriture a, malheureusement, traîné chez bien des gens dont le métier est de prêter de l’argent. » — De même, à l’enquête Pellieux. (Cass., II, 92.)
  4. Le détournement de titres fut commis par Esterhazy chez