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HENRY


je n’en avais été obsédé, la production clandestine des pièces secrètes m’eût-elle laissé indifférent ?

J’eus l’impression, quand je lus l’article de l’Éclair, que la forfaiture avait été vraiment commise ; je voulus m’en assurer. Dès le lendemain, étant absent de Paris, j’écrivis au garde des Sceaux, Darlan, que cette publication appelait soit un démenti officiel, si les faits relatés étaient inexacts, soit l’ouverture d’une enquête au ministère de la Guerre. Par quelle indiscrétion la pièce secrète a-t-elle été communiquée au journal ? ou n’est-ce qu’un faux ? Je prévenais le ministre que, si un démenti ne se produisait pas, je saisirais la commission de l’armée d’une demande collective d’interpellation[1].

Il me paraissait d’une meilleure tactique de retourner contre les auteurs de l’erreur judiciaire la loi sur l’espionnage que d’invoquer contre eux l’article 101 du code militaire, sur la communication obligatoire au prévenu de « toutes les pièces pouvant servir à conviction ». Mais l’une ou l’autre interrogation eût abouti au même résultat négatif.

En effet, le ministre de la Justice laissa ma lettre sans réponse ; puis, à la rentrée des Chambres, quand je lui renouvelai verbalement ma question, il me dit que son collègue de la Guerre, au cours des derniers incidents, n’avait donné de réponse précise sur aucun point déterminé ; mais il avait déclaré nettement que

  1. De Contrexeville, le 15 septembre 1896 : « Vous êtes déjà saisi, Monsieur le Ministre, d’une interpellation relative à l’affaire Dreyfus et je suis trop l’ami du ministère actuel pour vouloir augmenter ses embarras. Mais, d’une part, c’est dans l’intérêt même du ministère que je crois devoir appeler votre attention sur la nécessité soit d’un démenti, soit d’une enquête ; et, d’autre part, membre de la Commission de l’armée, je ne voudrais pas la saisir d’une demande collective d’interpellation sans vous avoir prévenu, sans vous avoir indiqué quelle est, selon moi, la procédure qui s’impose. »