Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1903, Tome 2.djvu/388

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
378
HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


tous les récits des journaux étaient inexacts. (C’était plus commode.) Le chef de l’armée avait jugé « plus dangereux qu’utile, au milieu des polémiques, de formuler quelque désaveu ou confirmation que ce fût ».

Ce dédain des sottises imprimées, cette placidité hautaine, le ton sur lequel Billot donna ces assurances à ses collègues, leur parurent décisifs. Méline avait une sincère affection pour le général ; Darlan l’estimait ; Hanotaux, Lebon, savaient que des pièces secrètes avaient été communiquées ; les autres ministres avaient horreur de cette affaire, ne demandaient qu’à ne pas approfondir. La parole de Billot me parut suspecte ; mais de quelle preuve aurais-je appuyé un doute aussi injurieux ?

Mathieu Dreyfus, comme on l’a vu, n’avait pu faire usage des confidences de Félix Faure à Gibert ; il redouta d’abord que l’article de l’Éclair ne fût démenti. Billot n’osait pas encore mentir publiquement. Dès lors, Mme Dreyfus prit acte de ce silence comme d’un aveu et adressa, le 16 septembre, une pétition à la Chambre. Elle a, dans l’innocence de son mari, « une foi absolue » ; la Chambre est « le seul pouvoir auquel elle puisse recourir » pour faire constater « qu’un officier français a été condamné sur une pièce produite à son insu et qu’il n’a pu discuter » ; elle réclame justice[1]. En même temps, elle adressa une supplique au Pape, le conjurant de faire entendre sa voix au-dessus des passions et des haines.

Quelques journaux publièrent, sans commentaire, la pétition. Rochefort m’accusa de l’avoir dictée et railla Mme Dreyfus, « mater dolorosa, qui faisait semblant de croire à la non culpabilité d’un être cent fois plus

  1. Commission des pétitions, n° 2707.