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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


poussé, documenté par Henry, qui comptait sur l’interpellation pour écraser, sous un vote solennel, Dreyfus et ses défenseurs.

Cette manœuvre enveloppante, d’une belle hardiesse, réussira. Au début, elle parut compromettre toute la bataille.

En effet, Billot fut repris de doutes. Le jour même de la rentrée des Chambres, comme il venait de signer l’ordre de mission de Picquart[1], il éprouva un scrupule, et décida de le garder à Paris, jusqu’après l’interpellation[2]. Boisdeffre dut s’incliner, à contre-cœur. Il rusa, chercha à faire partir Picquart quand même, de lui-même : « Pensez-vous, lui dit-il, que vous devriez partir tout de suite ou attendre l’interpellation ? » Picquart demanda un ordre. Ainsi, une fois de plus, il refusait de deviner le désir du chef d’État-Major, Boisdeffre répliqua : « C’est votre opinion que je réclame. » Picquart, sans arrière-pensée, préoccupé seulement du bien du service, dit « nettement » qu’il valait mieux attendre[3]. Boisdeffre, pris à son propre piège, et Gonse, très inquiet, entrevirent des coups de théâtre. Henry agit.

Le faux immanent flotte dans l’air ; les grands chefs l’appellent, sans oser l’ordonner. Or, ce faux ne peut être victorieux qu’à une condition : c’est que Picquart l’ignore. Et, pour qu’il l’ignore, il est nécessaire de convaincre à l’avance, définitivement, les chefs, surtout

  1. « Par décision du 27 octobre 1896, le ministre a désigné M. le lieutenant-colonel Picquart, de l’État-Major de l’armée, pour exécuter un voyage de reconnaissance sur le territoire des 6e et 7e régions. Il se rendra d’abord à Châlons… Il n’emmènera avec lui ni chevaux ni ordonnance. »,
  2. Cass., I, 550, Billot : « J’aurais voulu pouvoir le conserver à Paris et chercher ce qu’il disait être la vérité. »
  3. Cass., II, 209 ; Rennes, I, 448, Picquart.