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HENRY


été condamné plusieurs fois à la prison pour escroquerie et pour vol. Cet individu, qui est resté mystérieux, s’appelait Leeman et avait été boucher à Thionville ; il prit, dans ses multiples incarnations, les noms les plus divers (Roberty, Vendamne, Durrieu, Louis Vergnes, Martin, Durandin), et fut connu, par la suite, sous celui de Lemercier-Picard. Il était passé maître dans l’art des faux[1].

D’abord, de la lettre la plus récente de Panizzardi, Henry détache des fragments de papier qui ne portaient pas de trace d’écriture ; et sur ces fragments, mis bout à bout, Lemercier-Picard, ayant sous les yeux le graphisme de Panizzardi et le copiant d’un crayon exercé, transcrit les lignes suivantes[2] :

J’ai lu qu’un député va interpeller sur Dreyfus. Si on demande à Rome nouvelles explications[3], je dirai que jamais j’avais des relations avec ce Juif. C’est entendu. Si on vous demande, dites comme ça, car il ne faut pas qu’on sache jamais personne ce qui est arrivé avec lui.

  1. On verra plus loin (p. 598) que Lemercier-Picard lui-même déclara à Schwarzkoppen qu’il était l’auteur « matériel » du plus fameux des faux d’Henry.
  2. Le procédé qu’employa Henry est fort bien expliqué par Esterhazy, qui reçut, évidemment, les confidences de son ami ; il les résume, comme suit, dans une note intitulée « Henry » qu’il publia dans le Daily Chronicle du 5 mars 1899 en même temps que le texte de sa déposition devant la Cour de cassation : « On prit une de ces lettres ou, mieux, les morceaux d’une de ces lettres ; on en mit de côté, pour composer la pièce nouvelle, l’en-tête, la signature et quelques mots ; puis, sur des bouts de papier pris dans les blancs d’une autre lettre de la même origine, on écrivit, en imitant l’écriture, ce qu’on voulait. »
  3. Cavaignac : « Ici un membre de phrase que je ne puis lire. » (Chambre des députés, séance du 7 juillet 1898.) — Je donne, pour la première fois, le texte de cette phrase d’après une copie du faux Henry qui fut prise à Rennes.