Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1903, Tome 2.djvu/608

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
598
HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


enfin, lui nomma Esterhazy ; il lui annonça les prochains scandales, ainsi que son propre départ, désormais imminent.

Il existe, en effet, un protocole de l’espionnage diplomatique. Quand le complice d’un attaché militaire se laisse prendre, cet attaché est aussitôt rappelé par son gouvernement. C’est l’aveu public, officiel. Schwarzkoppen avait été maintenu à Paris, après la condamnation de Dreyfus, afin qu’il fût bien établi qu’il n’avait jamais entretenu de relations avec l’infortuné. Dès que le rapport de l’attaché sur Esterhazy parvint à Berlin, l’Empereur ordonna son rappel immédiat, qui fut signifié, selon les règles, au gouvernement français, huit jours après la visite du traître à l’ambassade. En même temps, le Moniteur militaire annonça la nomination de Schwarzkoppen au commandement du 2e régiment de grenadiers de la garde[1].

Pendant les quelques jours qu’il passa encore à Paris, Schwarzkoppen fut accablé de lettres anonymes. Il n’eut aucun doute sur leur provenance. Les scribes ordinaires d’Henry l’avertissaient qu’il sera terriblement compromis, que Scheurer possède un redoutable dossier, qu’il doit se hâter d’intervenir s’il veut écarter l’orage ; sinon, surtout s’il se fait le complice des Juifs, on saura tirer vengeance de lui ; il sera frappé dans son honneur, dans ses affections[2]. Une angoisse cruelle s’ajouta à ses remords.

Il reçut un jour la visite de l’un des agents d’Henry, qu’il avait déjà vu rôder autour de l’ambassade, Lemercier-Picard. L’individu, après un bref préambule, lui montra quelques lettres où Schwarzkoppen reconnut

  1. 2 novembre 1897.
  2. Renseignements inédits.