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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


Il ne prit guère qu’une précaution, celle de modifier son écriture, désormais connue par la publication du fac-similé du bordereau[1]. Mais sa fougue l’emportait et son graphisme redevenait naturel.

Gonse avait demandé à Desvernine s’il pensait, en continuant à surveiller Esterhazy, pouvoir arriver à quelque résultat[2]. L’agent n’y voyant pas d’impossibilité, Gonse l’invita à poursuivre son enquête, avec prudence et discrétion, et à le tenir au courant. Mais la surveillance ne donna rien[3].

Cependant Esterhazy eut, vers cette époque, une entrevue avec Schwarzkoppen[4]. Picquart parti et remplacé par Henry, il avait pensé à reprendre, en pleine sécurité, son métier interrompu par la découverte du petit bleu. Mais l’attaché allemand le reçut par ces mots : « C’est vous l’auteur du bordereau. » Il avait, en effet, reconnu sur le fac-similé du Matin, l’écriture de son correspondant et compris l’épouvantable drame[5]. Ainsi,

  1. Procès Esterhazy, 141, Mathieu Dreyfus. Cette transformation porta surtout sur les majuscules M, Y, A, pour lesquelles Esterhazy adopta les formes allemandes avec boucle. Le fait fut vérifié par Scheurer-Kestner, par Gaston Grenier, (Cass., I, 715.)
  2. Cass., I, 733 ; Rennes, 253, Desvernine ; il explique à Gonse qu’il est édifié sur la moralité d’Esterhazy ; cependant il n’a encore rien trouvé qui puisse légitimer une accusation de trahison ; mais l’homme est dans une situation telle « qu’il est, peut-être, sur le point d’être accessible à certaines propositions ».
  3. Elle dura jusqu’au 23 octobre 1897.
  4. Cette visite fut connue de Desvernine et signalée par lui à Gonse (Cass., I, 733).
  5. C’est ce que précise le comte Tornielli dans son mémoire : « Ni Schwarzkoppen ni Panizzardi n’avaient jamais vu le bordereau, mais ils savaient parfaitement tous deux avoir reçu, dans le temps, les quatre documents cités dans cette pièce. L’écriture était bien celle de l’envoyeur des documents et celui-ci n’était pas Dreyfus. » — Rennes, III, 440, Trarieux, même récit d’après Tornielli.