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SCHEURER-KESTNER


en s’abouchant avec Esterhazy, il n’avait pas seulement manqué à la parole qui avait été donnée que les attachés allemands s’abstiendraient désormais, à Paris, de toute tentative d’espionnage, mais il avait causé la plus tragique des catastrophes. Schwarzkoppen en éprouva un violent remords. S’il n’osa pas se confesser à l’ambassadeur, dont il craignait les justes reproches, il se fût fait horreur en reprenant des relations avec le misérable qui, tranquillement, laissait un innocent expier son crime.

Esterhazy ne broncha pas : « Donnez-moi par écrit, dit-il à Schwarzkoppen, que vous avez eu des rapports avec Dreyfus et je vous fournirai désormais des renseignements importants et toujours exacts. — Vous êtes, lui cria l’Allemand, la plus grande canaille qui ait jamais existé ! » Et il le chassa[1].

Frustré dans son espérance et pressé d’argent, Esterhazy se retourna une fois encore vers Weil, et, comme les mendiants des Sierras espagnoles, l’escopette au poing, il menaça. « Je remettrai à Drumont, écrit-il, une note où seront rapportés tous vos efforts contre les lâchetés, les abandons de ceux qui auraient pu me sauver ; il sait tout ce que j’ai fait et saura me venger[2]. » Weil n’eut garde de montrer cette lettre, mais il réussit à émouvoir à la fois l’abbé Seigneur et le grand-rabbin, et récolta une dizaine de mille francs[3].

  1. Cette anecdote fut racontée dans le Figaro, à l’époque du procès de Rennes, le 10 août 1899. Esterhazy déclara le lendemain, à un rédacteur du Matin, que cet entrefilet était stupide et que, si Schwarzkoppen lui avait tenu ce langage, il lui aurait tout simplement répondu qu’il était trop modeste et ne s’était jamais regardé dans une glace (Matin du 12). Le démenti parut faible. L’incident m’a été confirmé depuis.
  2. De Rouen, décembre 1896.
  3. Cass., I, 307, Weil : « Au moins 10.000 francs. »